16/12/2006 Texte

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Djihadistes en Égypte, mais libres en France

Les autorités égyptiennes surveillent attentivement les Occidentaux qui viennent étudier le Coran. Les huit Français «rapatriés» seraient plus simplement des salafistes.

Y a-t-il une approche différente en Egypte et en France pour déterminer qui est djihadiste ou qui ne l'est pas ?

En début de semaine, en effet, la France laissait en liberté huit Français «rapatriés» d'Egypte, suspectés d'être apprentis djihadistes sous le couvert d'apprendre l'arabe et le Coran. Et l'on ne sait toujours pas en vertu de quoi certains ont été relâchés et d'autres pas. Les autorités françaises qui cherchaient à en savoir plus n'ont toujours pas obtenu de réponse.

«Il y a bien sûr deux approches assez différentes, constate Antoine Basbous, politologue et directeur fondateur de l'Observatoire des pays arabes à Paris. Depuis des années, l'Egypte souffre du terrorisme islamiste (notamment avec les récents attentats majeurs dans le Sinaï en 2004, 2005 et 2006). Les forces de sécurité profitent d'un état de droit très "souple" et du régime de la loi d'urgence, instaurée en 1981 et appliquée sans discontinuer depuis pour arrêter ou emprisonner sur une simple suspicion untel ou untel. Le simple fait de lire des auteurs comme Sayyed Qotb, père du djihadisme, ou de fréquenter des islamistes suspects suffit à vous envoyer en prison et à y être parfois oublié pendant des années. Se présenter face à Hosni Moubarak à l'élection présidentielle peut vous y envoyer aussi, l'ex-député Ayman Nur en sait quelque chose. Donc, les forces de sécurité égyptiennes repèrent de très loin les supposés apprentis djihadistes. Les porteurs de passeports européens originaires de pays arabes ou musulmans sont particulièrement surveillés, car les policiers égyptiens tiennent le raisonnement suivant : que viennent faire en Egypte des hommes qui ont la chance de vivre dans le "paradis européen" et bénéficient de la liberté d'expression en touchant au moins un RMI qui équivaut à plusieurs salaires égyptiens ? Et puis les autorités égyptiennes ont été alertées par des convertis qui jouent les kamikazes, telle cette jeune Belge rousse qui s'est fait exploser à Bagdad l'an dernier. Enfin, les Occidentaux ont réclamé des dirigeants arabes la plus grande fermeté à l'égard des terroristes potentiels. Mais là ou le bât blesse, c'est lorsque ces mêmes Occidentaux donnent le droit d'asile à des djihadistes qui ont été condamnés à de lourdes peines dans leur pays d'origine et qui ont pu passer à travers les mailles du filet. Mais force est de reconnaître que c'est moins le cas depuis le 11 Septembre et depuis les attentats de Londres de juillet 2005.»

Au Caire, le journaliste Dia Rashwan, spécialiste du terrorisme et des réseaux islamistes au journal al-Ahram, doute des intentions des Français arrêtés dans son pays. Le spécialiste met avant tout l'accent sur l'inexistence de coopération entre les services français et égyptiens en matière de terrorisme : «L'Egypte aurait pu demander des renseignements à la France s'il y avait eu des accords de coopération... Je pense que ces Français ne font pas partie d'un réseau de djihadistes, mais de salafistes préférant peser en politique plutôt qu'au combat. Des djihadistes se seraient rendus en Syrie ou au Liban, pays francophones où la communication est plus simple qu'en Egypte, pays anglophone et en outre, beaucoup plus éloigné de l'Irak que ne le sont la Syrie, le Liban ou la Jordanie. Qui plus est, les islamistes égyptiens ne sont jamais allés recruter des étrangers pour appuyer leur combat en Egypte. Nos djihadistes sont des djihadistes locaux. Quant à la sécurité égyptienne, elle a une marge de manoeuvre assez large et préfère, comme de nombreux pays occidentaux, arrêter des suspects, quitte à les relâcher, plutôt que de les manquer. Et avoir un passeport français avec un nom à consonance arabo-musulmane peut être dans certains cas un motif de suspicion.»

Les renseignements généraux ont repéré depuis deux ans le départ de 246 personnes pour faire des études coraniques. Les candidats sont âgés de 26 ans en moyenne et ne sont pas issus de milieux familiaux radicaux. Une petite minorité de ces voyageurs est inscrite à la célèbre université al-Azhar, avec laquelle la France a conclu un accord pour former les futurs imams français. D'autres, et ils sont majoritaires, choisissent des madrasa (écoles coraniques) privées, dont les centres al-Ibaanah et al-Qortoba, désignés par les renseignements généraux comme des étapes sur les filières islamistes. Dans ces centres privés, les «stagiaires» se mélangent à d'autres et bénéficient d'une vie bon marché et moins sévère qu'en Arabie saoudite ou au Yémen.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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