04/05/2005 Texte

pays

<< RETOUR

Un parfum de fin de règne plane sur Le Caire

L'Égypte et les échéances de 2005

L'année 2005 s'annonce difficile pour l'Egypte. Plusieurs défis bousculent l'immobilisme du pays. Le plus immédiat est le retour du terrorisme, après huit années de calme, sous deux formes :

– «professionnelle» avec l'attentat contre l'hôtel Hilton de Taba d'octobre 2004, qui visait des touristes israéliens et qui avait fait trente-quatre morts ;

– «artisanal et familial» avec les trois attentats du Caire contre les touristes, en avril 2005, faisant six morts et une quarantaine de blessés.

Cette dernière forme est la plus inquiétante. Elle est déstructurée et fondée sur des initiatives privées, bien éloignées des deux centrales terroristes majeures des années 90, identifiées et neutralisées : le Djihad et la Jemaah Islamiyah. Si le Djihad, dont le chef, Ayman al-Zawahiri – l'actuel bras droit de Ben Laden qui a fusionné son organisation avec al-Qaida en 1998 –, n'a plus donné de signes d'activisme en Egypte, les dirigeants historiques de la Jemaah ont structuré une repentance argumentée derrière les barreaux. Ceux des leurs qui ont été libérés au terme de leur peine sont «tenus» par les dirigeants repentis qui rendent compte devant les autorités sécuritaires de tout dérapage de leurs fidèles. Le principal avocat des islamistes, Moutasser al-Zayyate, nous a confié que «près de 20 000 islamistes qui ont fini de purger leur peine sont toujours en prison grâce à des artifices juridico-policiers».

Les attentats d'avril ne semblent pas avoir été commis par ces deux groupes. L'argumentaire de la Jemaah justifie l'abandon de la violence en s'appuyant sur le Coran, alors que ses idéologues s'étaient inspirés des mêmes textes pour plaider en faveur de la violence, quelques décennies plus tôt. La mouvance terroriste égyptienne s'est surtout inspirée du maître à penser de l'islamisme djihadiste et takfiriste, l'un des brillants idéologues des Frères musulmans, Sayyed Qotb, d'une part, et du wahhabisme saoudien qui a déteint sur les expatriés égyptiens en Arabie, d'autre part.

La violence d'avril n'a pas livré tous ses ressorts, même si elle paraît limpide par rapport à ses mobiles idéologiques qui reprennent les arguments délaissés par la Jemaah et le Djihad. Elle cible les touristes qui viennent «souiller la terre islamique de l'Egypte en rendant hommage à ses pharaons, symboles de l'idolâtrie et de l'impiété».

Les moyens techniques primaires des kamikazes renvoient à une cellule naissante. Les auteurs ont montré leur détermination à mourir pour entraîner avec eux le plus grand nombre de «mécréants». En cela, ils s'inscrivent dans la logique du 11 Septembre. Le recours à des femmes kamikazes rappelle les «veuves de Tchétchénie». Ces terroristes sont difficile à identifier. Combien de jeunes takfiristes ont accès à Internet pour apprendre à fabriquer des bombes artisanales et sont prêts à se faire exploser ? Pourtant, le peuple égyptien fait tout pour protéger les touristes. Le chômage frappe le pays. Le smic avoisine 15 € par mois. L'arrivée de chaque touriste crée un emploi sur un an.

En réalité, l'Egypte a réprimé le terrorisme islamiste, mais elle n'a pas asséché les sources doctrinales des kamikazes. Elle n'a pas non plus donné de réponses aux attentes d'une population dont la croissance démographique dépasse les capacités économiques du pays.

Le deuxième défi, en cette année d'élections présidentielle et législatives, est politique et structurel. Le président Moubarak, au pouvoir depuis 1981, compte se représenter pour un 5e mandat. Les structures du régime, même retouchées avec la révision de l'article 76 de la Constitution, assurent à Moubarak une réélection confortable. Le problème se décline sur plusieurs niveaux. Le principal étant le divorce entre le peuple et ses élites, usées par un pouvoir exclusif depuis un quart de siècle. Or, malgré la formation d'une classe moyenne de plus de 2 millions de familles aisées (sur 72 millions d'habitants), les Egyptiens restent très frustrés de leurs conditions économiques, de l'ampleur de la corruption qui touche les élites, du maintien de l'état d'urgence et de l'humiliation face à un voisin israélien avec lequel la paix signée en 1979 n'a pas abouti à une normalisation entre les peuples, à cause du sort réservé aux Palestiniens. Aussi, un président qui s'agrippe au pouvoir malgré ses 77 ans et ses accidents de santé affaiblit la fonction et entame les chances de son fils et successeur présumé, Gamal. En cas «d'accident de parcours», le pouvoir échapperait aux politiques au profit des militaires qui désigneraient alors leur favori. Pourtant, Gamal paraît comme l'un des hommes les plus avertis et les plus susceptibles, au sein de sa génération, de porter le flambeau d'une Egypte modernisée. Il remplit d'ores et déjà les prérogatives d'un «vice-président», poste laissé vacant par son père. Il a fait nommer ses fidèles au gouvernement et a ressuscité les instances moribondes du Parti national démocratique.

L'acharnement du raïs à se maintenir à la présidence heurte l'aspiration du peuple au changement. Les manifestations du mouvement Kefaya («Ça suffit»), des Frères musulmans, du courant nationaliste, ainsi que la contestation des magistrats qui veulent imposer leurs conditions pour superviser les élections en disent long sur le réveil de la société civile. Le pouvoir égyptien ne peut pas rester sourd au vent libéral américain qui balaye la région depuis les attentats du 11 Septembre, ni tenter de «calmer» Washington en jouant seulement un rôle constructif dans le conflit israélo-palestinien.

Le raïs est invité à revoir sa politique intérieure, à ouvrir le champ politique. Au risque de perturber l'ordre établi et de profiter aux Frères musulmans avec lesquels les Etats-Unis et l'Union européenne dialoguent. Condoleezza Rice s'est dite favorable aux changements politiques rapides sans tenir compte de la stabilité intérieure des pays concernés (Washington Post du 25 mars 2005). Elle estime que la défense des régimes despotiques au nom de la stabilité a provoqué le ressentiment envers les Etats-Unis, qui a abouti au terrorisme. «Nous n'avions ni la démocratie ni la stabilité», déclare-t-elle. En revanche, le néoconservateur Daniel Pipes, nous a confié combien il était «hasardeux d'imposer la démocratie à une société qui n'est pas encore préparée à l'assumer. Cela risque d'aboutir à l'inverse du résultat escompté».

En tout état de cause, l'Egypte n'a jamais avancé que sous l'impulsion de son pharaon, de son président. L'histoire de Mahomet Ali et celle du Khédive Ismaïl montrent que toute renaissance est conditionnée par la volonté de son raïs et de l'élite dont il s'entoure. Les Egyptiens se rappellent qu'en onze ans Sadate avait mené la guerre et signé la paix tout en répudiant l'URSS pour s'allier avec les Etats-Unis !

Droits de reproduction et de diffusion réservés © lefigaro.fr

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |