20/03/2002 Texte

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Anniversaire : En 1960, l’ONU rangeait l’Algérie parmi les pays riches

Au milieu des années 50, selon un classement établi sur 54 pays par l’Organisation des nations unies, l’Algérie occupait la quatorzième place, devant le Portugal et l’Espagne, pour la richesse produite par habitant. Et c’était avant la découverte des hydrocarbures ! Pourtant, aujourd’hui, c’est comme si cette manne ne servait à rien. Pétrole et gaz représentent quelque 40 % du produit intérieur brut (PIB) et 98 % des exportations, mais l’Algérie a glissé inexorablement au 74ème rang mondial, selon le rapport 2001 sur le développement humain, également publié par l’ONU. Pour Daniel Lefeuvre, maître de conférences à l’université de Paris-VIII, ce résultat s’explique par le fait qu’à la fin des années 50 « la France consacrait en gros 20 % de son budget à l’Algérie » et à ses 10 millions d’habitants (dont 1 million de pieds-noirs), la métropole en comptant alors 43 millions. Il est vrai que ce montant recouvrait également les dépenses militaires, massives à l’époque, « de l’ordre de 60% du total », selon Daniel Lefeuvre. Beaucoup feront remarquer que la richesse était inégalement répartie : l’éventail des revenus allait de 1 à 68. Au bas de l’échelle, quelque 5,8 millions de personnes, toutes musulmanes ; en haut, 600000 privilégiés, dont 50000 non-Européens.

L’Algérie de l’époque coloniale était néanmoins en proie à une crise économique qui perdurait depuis les années 30. La production annuelle de blé par habitant était passée de 4 quintaux à 2 quintaux de blé entre 1900 et 1960, et celle de viande avait été divisée par trois (de 1,8 mouton à 0,6). Facteur aggravant, la démographie : chaque année, la population algérienne augmentait de 2,5 %, soit 250000 âmes. L’administration française connaissait la situation. Le diagnostic fait par la métropole a été remarquablement constant depuis le général Weygand, sous le régime de Vichy, jusqu’au général de Gaulle en 1958, en passant par François Mitterrand, lorsqu’il était ministre de la IVe République. Le remède proposé également : la France doit investir massivement dans le développement de cette colonie. Le dernier plan en vigueur, celui dit de Constantine, lancé en octobre 1958, était particulièrement ambitieux. Il n’eut pas le temps d’être mis en oeuvre. Mais, déjà, dès le plan de 1949-1953, le budget d’équipement de l’Algérie était alimenté, à 90 %, par des subventions de la métropole. Dans le suivant (1953-1956), cette proportion montera à 94 %. A l’époque, l’Algérie ne pouvait guère compter que sur ses exportations agricoles, notamment le vin (deux tiers de ses exportations agricoles).

Le commerce extérieur de la colonie, équilibré jusqu’en 1946, fortement déficitaire par la suite, traduit la forte augmentation des importations de biens d’équipement, qui devait conduire l’Algérie sur le chemin de l’industrialisation : cimenteries, usines d’assemblage de camions (Berliet). Pendant dix ans (1950-1960), la croissance du pays a été, dans ce domaine, de 60 %. Hors les subventions envoyées par Paris, l’autre grande source de revenus émanait des Algériens installés en France. « Une émigration à l’époque non sollicitée par la métropole, souligne Daniel Lefeuvre. C’est en effet une émigration qui générait des chômeurs dans ses propres rangs. Sur les 300000 Algériens musulmans partis chercher du travail en France, environ 90000 sont restés sans emploi. »

Pourtant, la France de cette époque avait besoin de main-d’oeuvre. Mais les entreprises préféraient de beaucoup employer des Espagnols, des Italiens, des Portugais ou des gens venus d’Europe centrale, voire des Marocains (environ 45000). Ces derniers étaient jugés plus « stables », car embauchés sous contrat, synonyme de carte de travail, alors que les Algériens n’avaient pas, en tant que Français, cette contrainte et étaient donc considérés comme plus inconstants. Conscient de la donnée politique du problème, le CNPF, l’ancêtre du Medef, a pourtant encouragé ses adhérents à embaucher de préférence des Algériens. Dans un article paru en 1953 dans son bulletin (N° 100), l’organisation patronale estime que ces embauches sont une nécessité dans la mesure où « les chefs d’entreprise métropolitains détiennent la meilleure carte politique de la France en Algérie ». L’effort de la métropole portera également sur l’éducation. Au début des années 50, le taux d’illettrés atteignait 85 % chez les musulmans. En dix ans, le nombre d’enfants scolarisés sera multiplié par 3,5. En 1960, 38 % des garçons musulmans (et 23 % des filles) vont à l’école. A Alger, les scores sont supérieurs : 75 % de garçons et 50% de filles. Pas de ségrégation entre les « Français d’Europe » et les Français de souche nord-africaine (FSNA). Simplement, les écoles étaient, en priorité, construites dans les zones urbaines, à forte densité d’Européens. D’où le faible taux de la scolarisation dans les campagnes, où vivait l’essentiel de la population musulmane.

Quarante ans plus tard, où en est l’Algérie ? Si tous les observateurs soulignent que toute comparaison entre hier et aujourd’hui est impossible, dans la mesure où la population a été multipliée par trois dans l’intervalle, l’Algérie de 2002 est, sur le plan strictement comptable, un pays riche : les réserves en devises étrangères de la Banque centrale totalisent actuellement quelque 18,5 milliards de dollars. Un « record absolu », souligne Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes (OPA). Un montant à rapprocher aussi de celui de la dette algérienne, estimée à 22 milliards de dollars. N’empêche : le nombre des chômeurs atteint environ 30 % de la population active. Dans son dernier rapport semestriel, le très officiel Conseil national économique et social (Cnes, algérien), tout en prenant acte des bons résultats financiers et des 5,7 milliards de dollars d’excédents de la balance commerciale, rappelle que « plus de 12 millions d’Algériens vivent dans la pauvreté, dont 6 millions en dessous du seuil de pauvreté ».

Pour Antoine Basbous, ce paradoxe s’explique par la dualité de ce pays : « La vie économique de l’Algérie se situe dans le Grand Sud, la vie sociale dans le Nord. Il n’y a pas de liens entre les deux: certains puits de pétrole sont plus distants d’Alger que la capitale algérienne ne l’est de Marseille ». En Algérie, le pouvoir est aux mains de l’armée, rappelle Rémy Leveau, spécialiste du monde musulman à l’Ifri. Ou, plus exactement, de plusieurs factions au sein de l’armée. Elles ont établi, depuis une dizaine d’années, un équilibre de la terreur sur lequel surfe le président Abdelaziz Bouteflika, qui bénéficie d’une autonomie surveillée tout en profitant des feux de la rampe, des entretiens télévisés et des voyages officiels, dont il raffole. « Dès qu’il y a une revendication un peu trop pressante au sein de la population, un assassinat ou l’explosion d’une bombe sont là pour rappeler la nécessité de maintenir une armée forte et de reporter à des jours meilleurs l’amélioration de la qualité de la vie », explique Antoine Basbous. Pour Rémy Leveau, cela « suffit à dissuader les investisseurs étrangers de venir prendre une part du « gâteau » algérien. Et cette situation pourrait durer encore longtemps ».

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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