02/05/2011 Texte

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La Suisse peut servir de modèle aux pays arabes

Suisse - Afrique du Nord / Pour le directeur de l’Observatoire des Pays arabes à Paris, la Suisse a un rôle à jouer dans le printemps arabe.

C’est hier soir à Tunis que Micheline Calmy-Rey a ouvert la conférence régionale des ambassadeurs suisses d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Objectif de cette réunion: mettre en œuvre la stratégie du Conseil fédéral dans la région. Pour Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des Pays arabes à Paris, même si elle est un petit pays, la Suisse a un rôle à jouer dans la région en occupant un certain nombre de niches. Interview. Quelle image a la Suisse dans la région? Positive. Genève et la Suisse accueillent de nombreuses organisations internationales. Etat neutre, sans passé colonial, on ne vous attribue pas la défense d’intérêts directs. Ce sont des avantages comparatifs non négligeables par rapport aux grandes puissances. Justement, au vu de notre petite taille, on doute qu’il soit possible de régater face à ces puissances. Que pouvons-nous apporter? Une chose essentielle: votre modèle de gestion de la diversité. La Suisse a su faire des différences culturelles une force, et non un facteur de déchirement. Au Maghreb et au Moyen-Orient, les tensions majorité-minorité sont courantes. Les disparités dans un même pays sont parfois grandes, à l’image d’un arrière-pays tunisien beaucoup plus pauvre. La Suisse peut servir de modèle aux pays arabes. Dans quels autres domaines notre pays pourrait-il être utile? Le renforcement de l’appareil judiciaire, avec comme objectif la création d’un Etat de droit crédible et une justice réellement indépendante. La formation de l’administration fiscale serait aussi utile pour la mise en place de l’Etat de droit. Lutter contre la fraude et l’économie informelle est important. Au Maghreb, cette économie dépasse les 40% de l’activité globale. Les troubles de janvier dernier en Algérie ont été causés par des mesures pour traquer les vendeurs à la sauvette. Trois mois plus tard, ces vendeurs étaient déployés dans toutes les villes. Entre-temps, le pouvoir a reculé pour faire baisser la pression. Et ceux qui tirent les ficelles de cette économie informelle ont malheureusement avancé. Quel soutien à la société civile? La Suisse pourrait favoriser la mise en place d’une agence indépendante de notation des élections. Cela pourrait se faire avec des experts des sociétés civiles locale et suisse qui examineraient puis noteraient les scrutins. On a assisté à trop de mascarades électorales. La formation des journalistes serait aussi utile. En Egypte ou en Tunisie, il y avait un journalisme d’Etat, chargé d’encenser les dirigeants. Il faut également valoriser le rôle des femmes dans la vie publique, comme l’ont préconisé des experts arabes du Programme des Nations Unies pour le développement dès 2006. Ce manque d’implication est considéré comme une des causes du retard pris par la région. N’est-il pas illusoire d’élaborer une stratégie globale avec des pays si différents? Elaborer une stratégie pour la région est tout à fait possible. Il faut ensuite la décliner dans chaque pays. Les situations sont très différentes, par exemple entre la Tunisie ou la Libye. Mais il y a des points communs à toute la région: la nécessité de gérer la diversité des sociétés. La Suisse n’est pas une grande puissance, mais des niches à fort potentiel existent. La Suisse craint un éventuel afflux de réfugiés: n’est-elle pas en train de dégrader son image? Je suis d’avis qu’il est mieux d’aider les gens à changer leur propre environnement, plutôt que de les laisser venir en Europe, ouvrir les frontières et susciter des espoirs qui seront forcément déçus une fois ici. Regardez l’arrivée des Maghrébins à Lampedusa, et comment les gens ont mal réagi en France et en Italie. Ils arrivent sans emploi, sans papiers, sans logement. Des squares sont occupés. Ça développe la haine et aide les extrémistes à dire que l’immigration, c’est Satan. Au final, ça ne résout les problèmes de personne, ni ici ni là-bas. Vous êtes un tenant de l’Europe forteresse, une Europe qui ferme ses frontières? Je dis simplement qu’il faut privilégier l’aide sur place. Les pays européens et la Suisse doivent ici prendre leurs responsabilités. Les gens réclament l’Etat de droit, la liberté, le mieux-être. Nous avons des recettes. Il faut aider ces peuples à les appliquer. La Suisse pourrait aussi participer à la formation des nouvelles élites. Mais cela n’aura de sens que si ces personnes restent au pays, qu’elles y trouvent des perspectives. Romain Clivaz. Tunis

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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