19/02/2011 Texte

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Libye: la contestation gagne un régime usé qui mise sur la répression

PARIS (FRA), 19 fév 2011 (AFP) - Ex-Etat paria devenu incontournable, la Libye du colonel Kadhafi est en proie à la contestation sans précédent d'un pouvoir usé mais fort de ses ressources pétrolières, alors que des soulèvements populaires viennent d'abattre les régimes autoritaires voisins en Tunisie et en Egypte. Régimes musclés, corruption massive, élections truquées: les trois pays avaient beaucoup en commun jusqu'à la chute de Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier et celle de Hosni Moubarak le 11 février. "Les Libyens ont vécu en temps réel les événements qui se sont déroulés à leurs frontières. Au pouvoir depuis 1969, Mouammar Kadhafi est le plus ancien des dictateurs arabes", explique Denis Bauchard, conseiller à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et ancien diplomate français. "Guide de la grande révolution", "Roi des rois traditionnels d'Afrique", le colonel Kadhafi, 68 ans, mis au ban de la communauté internationale pour son soutien au terrorisme dans les années 1980, est redevenu fréquentable en se présentant comme un rempart contre l'islamisme et l'immigration clandestine. Mais pour le dictateur mégalomane qui a survécu aux missiles américains en 1986, le danger vient aujourd'hui des rues de son pays. "Les Libyens sont usés par 42 années de révolution qui ne leur ont jamais apporté le bien-être. Ils vivent dans un émirat pétrolier sans bénéficier des infrastructures, de la santé, de l'éducation et des perspectives d'avenir qu'ils devraient avoir. Ils n'ont aucune liberté d'expression", souligne Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes. "Kadhafi a financé toutes les révolutions, dilapidé l'argent du pays en cherchant à fédérer autour de lui, à se voir reconnu comme le grand roi d'Afrique", avec son projet fédéral des "Etats-Unis d'Afrique", poursuit-il. "Et il s'est racheté à coups de milliards après les attentats", versant 2,7 milliards de dollars de compensations aux victimes de l'attentat de Lockerbie (270 morts dans l'explosion en vol d'un Boeing en Ecosse en 1988), juge Antoine Basbous. Face à la colère de la population, le régime dispose d'une marge de manoeuvre financière, fondée sur les revenus du pétrole, qui font de la Libye, grande comme trois fois la France mais désertique à 93% et habitée par seulement 6,3 millions d'habitants, un des pays les plus riches d'Afrique. Il a d'ailleurs déjà annoncé des mesures de subventions pour des produits de première nécessité. "Kadhafi dispose d'une cagnotte pétrolière considérable, de l'ordre de 40 à 50 milliards de dollars par an, qui lui permet de désamorcer des troubles sociaux à coup de subventions. Mais pour le moment, il a montré que la seule réponse à la contestation était une répression violente", remarque Denis Bauchard, alors que l'organisation Human Rights Watch fait état de 84 morts depuis mardi. "Il sera difficile pour la communauté internationale de contraindre le régime à une retenue dans la répression. Tripoli pratique une diplomatie pétrolière redoutable. Qu'un gouvernement s'ingère dans les affaires politiques intérieures et il sera exclu des marchés pétroliers", relève Luis Martinez, du Centre de recherches et d'études internationales (CERI), interrogé par le quotidien Le Monde. Jusqu'à présent, l'armée, qui a joué un rôle clé dans les "révolutions" tunisienne et égyptienne, n'est pas intervenue en Libye. Aux côtés des forces de l'ordre, le régime a placé en première ligne les "comités révolutionnaires", piliers du système. Mais si la révolte qui a débuté à Benghazi, deuxième ville du pays et foyer traditionnel de contestation et de troubles islamistes, s'étend dans les faubourgs de la capitale, l'attitude de l'armée (76.000 hommes) peut faire la différence. "Aujourd'hui le seuil de chute d'un régime est établi à 300 morts. Est-il prêt à aller jusque-là ou au-delà?", se demande Antoine Basbous.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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