13/02/2011 Texte

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En Egypte, la fête de la liberté fut belle… Mais après?

Avec le départ de Hosni Moubarak et le passage du pouvoir aux militaires, l’Egypte s’avance en territoire inconnu. Où va-t-elle? L’éclairage de deux spécialistes du monde arabe. Passée la très belle et émouvante fête de la liberté qui a suivi la chute de Hosni Moubarak, on a nettoyé hier la place Tahrir du Caire. Le pouvoir est désormais passé entre les mains du conseil suprême des forces armées que dirige le maréchal Mohamed Hussein Tantawi. Ce conseil diffuse des communiqués laconiques et numérotés dans lesquels il s’est engagé à promouvoir «une transition pacifique du pouvoir menant à une société démocratique libre». Promesse qui a été saluée hier par le président américain Barack Obama. L’armée reste cependant évasive sur le chemin pour y parvenir. Hier, le conseil suprême a fait savoir qu’il n’entendait pas limoger dans l’immédiat l’actuel gouvernement auquel il a confié la gestion des affaires courantes. Il a aussi affirmé que l’Egypte «restera engagée envers tous ses traités régionaux et internationaux». Le ministre israélien des Finances s’est félicité de cette annonce soulignant que «la paix n’est pas seulement dans l’intérêt d’Israël, mais aussi de l’Egypte». Pour autant, le gouvernement actuel n’a apporté aucune précision sur le calendrier de la transition politique. Les militaires vont-ils satisfaire les attentes des manifestants de la place Tahrir qui scandaient: «L’armée et le peuple main dans la main»? A l’heure des mobilisations succède celle des interrogations. Quel rôle joue l’armée? L’armée est souvent présentée comme la «colonne vertébrale» ou le «centre» du pouvoir égyptien. Depuis le coup d’Etat des «officiers libres», en 1952, tous les présidents et vice-présidents du pays en sont issus. Forte de 470.000 hommes, elle est une institution que la population respecte. Mais c’est aussi une puissance économique bénéficiant au premier chef du budget de l’Etat et de l’aide américaine. Parmi les télégrammes diplomatiques américains que WikiLeaks a récemment révélés, il en est un, daté de septembre 2008, affirmant que l’armée égyptienne possède «un vaste réseau d’entreprises commerciales particulièrement actives dans les secteurs de l’eau, l’huile d’olive, le ciment, la construction, l’hôtellerie et les stations d’essence.» «L’armée n’a jamais été exclue du partage du pouvoir et des richesses», précise Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde méditerranéen, à Genève. Garante de la stabilité du pays, elle doit aujourd’hui assurer la transition démocratique tout en préservant ses intérêts. «Si l’armée a sacrifié l’homme Moubarak, poursuit Hasni Abidi, c’est pour pouvoir maintenir son règne dans sa globalité. Mais elle se retrouve ainsi dans une situation inédite: jamais, jusqu’ici, elle n’a été mise dans l’obligation de gérer une telle transition politique.» Directeur de l’Observatoire des pays arabes, à Paris, Antoine Basbous parle d’un «toilettage du régime»: «Depuis 1952, l’armée n’a cessé d’être là tout en présentant plusieurs vitrines. Il y a eu la vitrine Nasser, la vitrine Sadate, la vitrine Moubarak… Mais c’est aussi une boîte noire et bien fermée. Jusqu’ici, elle n’a pas montré de divisions, mais il est difficile de savoir ce qui se passe à l’intérieur. J’espère seulement qu’elle saura se montrer à la hauteur des aspirations à la liberté dont le peuple égyptien a témoigné.» Qui est le nouvel homme fort? A la tête du Conseil suprême des forces armées, on trouve le plus haut gradé d’Egypte: âgé de 75 ans, le maréchal Mohamed Hussein Tantawi appartient à la vieille garde de Moubarak et occupe le poste de ministre de la Défense depuis 1991. «Tantawi est un homme vieux, malade et très impliqué dans la politique de Moubarak», estime Antoine Basbous qui ne lui prête pas un grand avenir: «Il est dépassé par les événements comme l’est également Omar Souleimane, le vice-président nommé fin janvier, dont la carrière s’inscrit elle aussi dans le sillage de Moubarak.» Pour Antoine Basbous, le nouvel homme fort serait plutôt Sami Enan, le chef de l’Etat-major: «C’est l’homme avec lequel il va falloir compter. Il contrôle davantage la situation.» Hasni Abidi s’exprime dans le même sens: «Peu connu, Sami Enan est également peu compromis. En outre, il a noué d’excellentes relations avec les Américains.» Ce qui n’empêche pas cet ancien officier de l’armée de l’air de séduire aussi parmi les Frères musulmans. Kamel el Helbaoui, un dignitaire la confrérie, vient de déclarer à l’agence Reuters que Sami Enan pourrait être «le futur homme de l’Egypte». Quelle figure de la contestation va s’imposer? «Si les Suisses ou les Français devaient élire le futur président égyptien, ironise Antoine Basbous, ils choisiraient certainement Mohamed El Baradei que les médias n’ont cessé de montrer. Mais, pour les Egyptiens, l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique reste beaucoup trop éloigné de leurs réalités.» Antoine Basbous parierait plutôt sur Amr Moussa, actuel secrétaire général de la Ligue arabe: «Il a été un brillant ministre des Affaires étrangères de 1991 à 2001. C’est lui qui me paraît avoir le plus de chances d’émerger.» Là-dessus, Hasni Abidi exprime une opinion tout à fait inverse: «Amr Moussa est un homme du sérail qui, à la tête de la Ligue arabe, n’a jamais parlé des réformes politiques nécessaires à son pays. Les Egyptiens dénoncent volontiers son opportunisme politique. A l’inverse, Mohamed El-Baradei est un homme neuf qui ne sort pas du sérail: il est le premier à avoir demandé le départ de Moubarak.» Michel Audétat

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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