19/10/2009 Texte

pays

<< RETOUR

Otages suisses en Libye: ça pourrait durer huit ans !

Une nouvelle phase. Dés-ormais les relations entre la Suisse et la Libye ne sont plus régies par aucun accord, aucune date, aucune échéance, même pas la moindre promesse à l'horizon. Ce 20 octobre marque non seulement la fin de l'accord que Hans-Rudolf Merz a signé en août dernier à Tripoli mais surtout une nouvelle étape dans la crise entre les deux pays. Pour combien de temps encore? Le Conseil fédéral refusait hier de se prononcer. Selon nos informations, il devrait prendre une décision de principe lors de sa séance hebdomadaire de demain. Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes à Paris, est plus catégorique: «Tant que Kadhafi n'aura pas besoin de lâcher prise, il s'amusera avec la Suisse.» Et, à ce rythme-là, le conflit peut durer longtemps. Aussi longtemps que les huit années nécessaires pour faire libérer les infirmières bulgares. Car le plus inquiétant, c'est que l'histoire des deux otages suisses retenus depuis quinze mois - 458 jours - sur le sol libyen commence de plus en plus à ressembler à celle des infirmières bulgares. C'est en tout cas l'avis d'observateurs et des deux avocats français qui ont suivi de près le dossier. Voici les similitudes qu'ils relèvent. Autant de leçons que la Suisse devrait appliquer. Similitude 1: Le même scénario Emmanuel Altit, l'un des deux avocats français des infirmières bulgares, parle d'un scénario identique entre les deux affaires. Il le résume en quatre phases. PHASE UN Réaction épidermique du pouvoir libyen à un événement non voulu et prise d'otages pour accréditer la thèse officielle. L'inoculation du sida au peuple libyen pour les infirmières bulgares, l'humiliation d'Hannibal Kadhafi à Genève. PHASE DEUX Manoeuvres pour tenter d'obtenir plus d'avantages de la part des interlocuteurs. «C'est avant tout un moyen de tâter le terrain, ajoute l'avocat parisien, et c'est seulement en cas de réponse positive que la phase trois peut commencer.» Aussi bien la Suisse que les négociateurs de l'Union européenne qui se sont occupés de ce cas ont cédé. PHASE TROIS C'est celle de la justification. Le pouvoir libyen - ayant obtenu des gages en argent et en déclarations de ses interlocuteurs qui accréditent la version officielle des faits - passe à un niveau symbolique et en demande bien davantage. C'est la phase de l'humiliation suprême. Une phase que la Suisse n'a pas encore atteinte. Dans le cas des otages bulgares, il a fallu un voyage de Kadhafi à Paris. PHASE QUATRE La légitimation. Le colonel Kadhafi récupère les événements pour légitimer son pouvoir en Libye et prouver à son pays que seul le clan Kadhafi mérite d'être au pouvoir. Récupération aussi auprès des pays arabes et africains: «Vous voyez, avec tout ce que nous avons obtenu, nous sommes les champions arabes contre les Occidentaux et donc vos leaders naturels.» Similitude 2: La même méconnaissance de la Libye Emmanuel Altit poursuit: «Si j'avais prédit ce scénario aux autorités suisses il y a quinze mois, personne ne m'aurait cru. Idem en Bulgarie.» Pour l'ancien avocat des infirmières bulgares, il ne s'agit pas seulement de comprendre le système libyen mais carrément le mode de pensée. «Au fond, l'important est de comprendre que ce n'est ni l'argent ni les excuses qui intéressent le clan Kadhafi, mais la légitimation de son pouvoir. A partir de là, c'est sur cet enjeu qu'il faut lui faire peur. C'est sur cet enjeu qu'il faut négocier.» Et cela, ni les Bulgares ni les négociateurs européens ne l'avaient compris au début. Similitude 3: Deux petits pays «La nouvelle Libye ne s'attaque plus aux gros pays», explique Antoine Basbous. Et à ce titre, pour ce spécialiste, la Bulgarie peut être comparable à la Suisse au niveau de son influence sur le plan international. «A la différence près, reprend Antoine Basbous, que les Bulgares ont compris plus vite que les Suisses qu'il fallait intéresser la communauté internationale à leur problème. La Suisse reste frileuse, elle n'a pas l'air d'envisager le rapport de forces. Notamment en portant cette crise devant les Nations Unies ou la Commission des droits de l'homme.» Similitude 4: Les mêmes procédures sans fin La Suisse a fait confiance à l'accord qu'elle a signé avec la Libye. Tout comme le gouvernement bulgare s'est impliqué dans les multiples procès, expertises et autres procédures que les Libyens ont commandés dans le cas des infirmières. Même le célèbre professeur français Luc Montagnier, codécouvreur du virus du sida, a effectué une expertise. «Tout cela s'est révélé inutile, commente Antoine Basbous, puisque toutes ces procédures ne suivent qu'une règle: appliquer les ordres du chef.» Pour ce grand connaisseur du monde arabe, la Suisse a fait preuve d'une grande naïveté: «Croire à un accord signé par le premier ministre, c'est faire confiance à un inconnu, un non-décideur. Surtout quand le dossier touche directement à la famille Kadhafi.» L'avocat Emmanuel Altit confirme: «Les procédures ne servent à rien. Seul un rapport de forces politique favorable peut faire changer la donne.» Similitude 5: Les mêmes fausses promesses Stéphane Zerbib, le deuxième avocat parisien des infirmières bulgares, se souvient aussi des fausses promesses qui ont été faites par les Libyens: «Nous en avions tous les jours. Je ne compte plus les promesses de libération immédiate ou les annonces de la non-mise en exécution de la peine de mort.» Malheureusement, les autorités suisses ont également reçu des promesses de libération qui ne se sont jamais concrétisées. Et cet avocat parisien inscrit au Tribunal pénal international et en Suisse a une explication: les diplomates des différents pays qui se sont greffés dans le dossier ne s'intéressaient qu'à établir des relations commerciales avec la Libye. C'est seulement le jour où les Européens ont parlé d'une seule voix et qu'ils ont instauré la libération des otages comme condition préalable à tout échange commercial que les choses ont changé. Car, le rapport de forces avait changé. L'avocat ajoute: «Au fond, il ne faut jamais renier les principes démocratiques face aux Libyens. Ils ne respectent que ceux qui leur montrent qu'ils sont forts.» Similitude 6: Le même manque d'informations sur les otages Les deux otages suisses ont disparu depuis près d'un mois. Le Département fédéral des affaires étrangères reconnaît qu'il ne sait rien, ni sur le lieu ni sur les conditions de détention. Dans le cas des infirmières bulgares, les informations étaient aussi quasi inexistantes. Les diplomates européens n'ont jamais réussi à leur parler directement. Seuls les avocats ont réussi à les approcher à plusieurs reprises. «Quand il y a un blocage entre deux parties, ajoute Stéphane Zerbib, il en faut une troisième et, dans ce cas, c'étaient nous, les avocats.» En Suisse, pour l'instant, aucun des deux otages ne possède encore d'avocats...

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |