04/02/2009 Texte

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La grande « dépression » arabe

La guerre à Gaza a révélé au grand jour la triste réalité géopolitique du monde arabe : près de 300 millions d’Arabes représentés par vingt-deux États qui pèsent peu dans le monde d’aujourd’hui. Incapables de tenir un sommet arabe unitaire ni de convoquer un sommet plus large de l’Organisation de la conférence islamique, ou encore du Comité de Jérusalem, ils en ont organisé trois, qui n’ont servi qu’à étaler leurs divisions : un sommet largement boycotté à Doha, qui a permis aux présidents iranien, syrien et au chef politique du Hamas d’afficher des positions radicales – dévoilant au passage un Qatar aligné sur l’axe chiite et reniant son rôle de médiateur ; un sommet du Conseil de coopération du Golfe, convoqué par Riyad pour rappeler Doha à l’ordre, en usant de sa molle prédominance ; et un sommet économique au Koweït, qui a été l’occasion de furtives embrassades publiques entre chefs d’État, mais qui n’a réglé aucun des différends qui les opposent. La nature ayant horreur du vide, les Arabes voient donc leur destin soumis à trois puissances régionales non arabes : Israël, l’Iran et, depuis peu, la Turquie. Comme par le passé, le dernier embrasement de Gaza a montré combien le monde arabe était perméable aux influences extérieures par manque de leadership intérieur, de projet commun et de vision d’avenir. Au lendemain du renversement de Saddam Hussein, la majorité des pays arabes se trouve ainsi contrariée par l’influence grandissante de l’Iran et l’émergence d’un « croissant chiite » . Le « verrou irakien » ayant sauté, l’Iran a pu s’assurer d’une continuité territoriale formée de régimes chiites ou dominés par des chiites, de la Caspienne à la Méditerranée, avec une extension sunnite : le Hamas à Gaza. Avant comme après la guerre de Gaza, une vraie bataille oppose un axe piloté par Téhéran et qui a réussi à embrigader le Hamas palestinien, à une majorité de pays arabes qui ne veulent pas être entraînés dans un conflit qu’ils n’ont pas choisi et qui ne sert pas leurs intérêts stratégiques. La grande émotion populaire suscitée par la férocité des bombardements israéliens n’a toutefois pas ébranlé cette majorité d’États qui ont refusé de verser dans la démagogie et de suivre aveuglément les sombres desseins de l’Iran. L’Égypte a solidement tenu cette ligne, malgré les accusations formulées par les alliés arabes de l’Iran et par le Hezbollah, dont le chef a carrément appelé au renversement de Moubarak. C'est que, pour Le Caire, le défi qu’incarne le Hamas – la branche palestinienne des Frères musulmans égyptiens – est insupportable. Ce dernier s’est comporté aux portes de l’Égypte à la fois comme la tête de pont et le fer de lance de Téhéran et de Damas, menaçant de faire vaciller le pays des pharaons. Pour Le Caire, les agissements du Hamas sont un enjeu de politique intérieure, car ils portent atteinte à sa sécurité. Son éventuel succès à Gaza constituerait un levier majeur pour les Frères musulmans égyptiens et conduirait le pays à une rupture de facto du traité de paix de Camp David et de son alliance avec Washington. Le principal enjeu du conflit peut donc se résumer ainsi : lequel des deux camps – chiite ou sunnite – réussira à s’emparer de la carte palestinienne pour se légitimer et conquérir l’opinion publique arabe ? La reconstruction de Gaza pourrait bien devoir attendre que cette question soit tranchée, à moins que le Hamas de Gaza ne décide de rompre avec son commandement idéologique basé à Damas, à l’abri de l’armada israélienne. Sans cette scission, l’Autorité palestinienne ne pourra pas retrouver son unité ni former un gouvernement d’union nationale, seul capable de négocier la paix et de saisir l’opportunité offerte par l’engagement manifeste de Barack Obama, à travers la désignation d’un éminent émissaire pour la région : George Mitchell. Il serait suicidaire de ne pas profiter de cette occasion unique de voir les États-Unis d’Obama « changer de logiciel » dans son approche des crises de la région. Car tout report supplémentaire se ferait au détriment des Palestiniens, en permettant à Israël de poursuivre sa politique du fait accompli et de grignotage de nouveaux territoires en Cisjordanie. Par manque de cohésion stratégique, les régimes arabes ont ouvert la voie à l’Iran pour se positionner comme le nouveau champion de la cause palestinienne, au nom de l’islam et au détriment du nationalisme arabe. La percée iranienne a suscité le réveil de la Turquie sunnite, qui joue un rôle constructif, comme facteur de paix et de stabilité dans les conflits qui opposent Israël au Liban, à la Syrie et aux Palestiniens, totalement à l’opposé de celui des Iraniens. Les nostalgies perses et ottomanes surgissent ainsi des décombres de l’histoire pour remplir le vide stratégique laissé par les Arabes. Une alliance objective entre les extrémistes – iraniens, palestiniens et israéliens – sera toujours en mesure de torpiller l’espoir d’une paix que la conjoncture peut pourtant offrir. Et ce à travers l’initiative arabe de paix du roi Abdallah d’Arabie ( la reconnaissance formelle d’Israël par tous les États arabes, contre la restitution des territoires occupés), adoptée au sommet arabe de Beyrouth ( 2002) ; le « succès » militaire israélien à Gaza, qui rappelle les capacités de dissuasion de l’État hébreu, effaçant ainsi son échec de 2006 contre le Hezbollah ; la disposition unique d’Obama à chercher une solution et à créer deux États côte à côte ; et, pour une fois, l’Europe, qui n’a pas tari d’efforts tout au long du conflit et serait bien inspirée de cesser de jouer les figurants en se contentant de subventionner des infrastructures vouées à la destruction à chaque nouveau conflit.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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