01/06/2004 Texte

pays

<< RETOUR

«Une intervention n’est pas à exclure»

Antoine Basbous, Directeur de l'Observatoire des Pays Arabes

Comment analysez-vous l’opération terroriste contre le complexe d’Al Khobar en Arabie Saoudite ?

Un pas supplémentaire dans le terrorisme vient d’être franchi. Le monde se rend brutalement compte de la gravité de la situation en Arabie, berceau du wahhabisme. Cette doctrine a été portée dans le monde entier, y compris en Algérie. Aujourd’hui, elle sévit contre le pays où elle est née et dont elle est la religion d’Etat. Il s’agit d’une lutte contre le régime des Saoud, un régime affaibli par le vieillissement de ses dirigeants et leur rejet de toute réforme. Les Saoud considèrent l’Arabie comme une propriété privée. Les extrémistes frappent leurs adversaires là où ils le peuvent parce qu’en s’attaquant aux expatriés dont la présence est indispensable, ils frappent surtout le pétrole et l’économie mondiale. Les attentats qui se multiplient contre les expatriés, dont la présence est indispensable à l’exploration et à la production pétrolières, vont pousser les étrangers à partir, alors que l’Arabie ne pourra plus engranger autant de ressources et risque de perdre son rôle de premier producteur mondial de pétrole. Aussi, le prix du baril s’orientera à la hausse.

Quel est l’objectif précis recherché par les responsables de ces actions terroristes ?

Il y a plusieurs objectifs à ces opérations. Leurs commanditaires veulent faire d’une pierre plusieurs coups. Ils veulent tout d’abord châtier les Saoud qui ont violé le testament du Prophète interdisant la présence d’impies dans la péninsule. Cela est le fondement doctrinal. Il y a ensuite l’exploitation politique. Les extrémistes veulent abattre les Saoud qu’ils considèrent comme «hérétiques et illégitimes» pour prendre le pouvoir et instaurer un Khalifat islamique en Arabie et dans le reste du monde musulman. En troisième lieu, ils veulent frapper l’Occident en le privant de ces ressources pétrolières.

L’opération terroriste d’Al Khobar est attribuée à Al Qaîda. Ben Laden n’est-il pas le produit du régime saoudien ? Ben Laden s’est retourné contre les siens…

Depuis 1990, il y a un début de divorce entre, d’une part, les Wahhabites du Palais et, d’autre part, les Wahhabites authentiques. Au fur et à mesure que le temps est passé, ce divorce s’est accentué. Aujourd’hui, ils sont en confrontation totale. Les Wahhabites authentiques saoudiens se sont retournés contre leurs alliés, les Saoud et leur régime.

Cet attentat viendrait-il d’Al Qaîda ?

Il n’y a pas de doute à ce sujet. Le programme qui a été annoncé dans un DVD du mois d’avril 2004 annonce ce type d’opération. Abdelaziz Al Maqrin, qui est le chef d’Al Qaîda dans la péninsule, l’avait également répété la semaine dernière. Il ordonne maintenant à ses hommes de mener une guérilla urbaine et promet «une année sanglante» pour l’Arabie. C’est quelqu’un qu’il faut prendre au sérieux parce qu’il est à la tête d’une organisation bien structurée. Les opérations terroristes vont donc se poursuivre. L’accélération des attentats va pousser les expatriés à quitter l’Arabie et à la priver de l’expertise qu’ils apportent à son industrie pétrolière.

Quelles seraient les conséquences d’une déstabilisation du régime saoudien au niveau intérieur d’abord, puis aux niveaux régional et international ?

L’Arabie s’occupera plus de ses problèmes domestiques, se battra contre les dérives wahhabites et tentera d’assurer sa survie puisque les dirigeants Al Saoud sont menacés physiquement. L’Arabie s’efforcera de protéger ses ressources pétrolières en maintenant ses exportations et son rôle de premier exportateur mondial. Les défis pour les Saoud sont lourds à porter. D’autant plus que les dirigeants sont en fin de course, qu’ils sont gouvernés par des vieux princes qui se «tirent dans les pattes» en coulisses. Et qui n’arrivent pas à s’entendre sur le partage du pouvoir. Sur ce plan, il pourrait y avoir du nouveau pendant le mois de juin.

C’est-à-dire…

Je ne veux pas en dire plus pour le moment.

Le régime saoudien fait état de réformes. Qu’en est-il exactement ?

Cette caste vieillissante ne peut nullement concevoir des réformes dans la mesure où elle considère que les Saoudiens sont presque les esclaves et n’ont rien à réclamer. Ils doivent s’estimer heureux d’avoir à la tête du pays cette famille royale. Les vraies réformes ne figurent pas dans le dictionnaire des Saoud. La famille royale répète à l’envi : «Nous l’avons remportée (cette Arabie) au fil de nos épées.» Elle n’entend pas concéder une quelconque réforme sérieuse, excepté quelques poudres aux yeux. Elle veut garder tout le pouvoir politique et financier entre ses mains.

Les Occidentaux, et en premier lieu les Américains, ne pourraient-ils pas être tentés de réagir, voire d’intervenir pour sauvegarder leurs intérêts pétroliers ?

Cette bataille qui s’accélère ne concerne pas les seuls Al Saoud et Ben Laden. Il y va de l’approvisionnement mondial de l’énergie. Aujourd’hui, on ne peut plus parler d’indépendance totale des Etats. Il y a interdépendance. Si la situation dégénérait en Arabie, les Saoud seraient prêts à appeler des renforts pour pouvoir asssurer leur rôle et pour pouvoir continuer à approvisionner le marché international en pétrole.

Les pays de l’OPEP doivent se retrouver à Beyrouth. La question va être d’actualité…

Ce type de problème est évacué de façon diplomatique et noyé dans les enceintes où règne le formalisme. Mais les stratèges ne peuvent pas évacuer la question d’une intervention à la demande des Saoud pour garantir l’écoulement du pétrole vers le monde entier. Il y va de la sécurité de l’Inde, du Japon, de la Chine, comme de l’Europe et des Etats-Unis. C’est la survie de l’économie mondiale et des emplois des dizaines de millions de personnes sur tous les continents qui sont en cause.

Par Nadjia Bouzeghrane

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |