08/06/2000 Texte

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L'Algérie de Bouteflika

Antoine Basbous : « Le procès de la violence reste à faire »

Quel est le bilan de l'amnistie très large offerte aux islamistes armés ?

Plusieurs milliers d'entre eux en ont bénéficié sans même qu'il y ait eu enquête pour savoir si tel ou tel avait commis des attentats, des viols ou des crimes de sang - comme le prévoyait la loi dite «de concorde civile». En clair, elle n'a pas été appliquée. Malgré cela, chaque semaine, on déplore une moyenne d'au moins 50 morts, et l'armée est sans cesse prise pour cible. Il y a peu, un ex-Premier ministre proche des milieux militaires, Sid Ahmed Ghozali, estimait à 30 000 ou 40 000 le nombre de maquisards encore actifs - loin des 1 500 à 2 000 le plus souvent évoqués. A première vue excessif, le chiffre l'est moins si l'on y inclut les relais logistiques. En dépit des ouvertures - maintenues bien au-delà de l'échéance officielle, le 13 janvier, du délai de reddition - et d'un courant favorable à l'amnistie générale animé par des proches du président Bouteflika, les irréductibles endoctrinés du GIA et du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) refusent toute négociation.

Que cherchent-ils, à défaut d'avoir réussi à prendre le pouvoir ?

Ils n'ont plus rien à perdre et rien à espérer d'un retour à la vie civile. Il y a parmi eux, en particulier au GSPC, des ex-parachutistes qui tiennent des maquis en Kabylie. L'armée est hostile à l'amnistie de ces déserteurs voués à la cour martiale et sans doute à la peine capitale. Pour terminer une guerre, il faut soit gagner militairement, écraser l'ennemi - et l'armée n'y est pas parvenue jusqu'ici - soit pactiser en connaissance de cause. La première solution n'a pas réussi et la seconde est rejetée par les radicaux des deux camps. J'ajouterai que le procès de la violence reste à faire en Algérie.

Les islamistes ne sont-ils pas discrédités par les massacres qu'ils ont commis ?

En effet. Dès 1996, et surtout après les tueries de masse de 1997, le divorce s'est aggravé entre eux et la société, consommant ainsi leur échec. Mais la culture de la violence n'est pas née avec le GIA. Elle date de la conquête coloniale. La guerre de libération l'a ensuite glorifiée. Toutes les villes ont dédié un boulevard ou une avenue au colonel Amirouche, qui s'est illustré en 1956 par le massacre de 1 800 prétendus «traîtres», égorgés sous le prétexte d'économiser les balles. Quant aux salafistes, ils ont toujours justifié l'assassinat des impies par un socle doctrinal trouvé dans la charia, fût-ce au prix d'une interprétation abusive des textes. La corruption et la pauvreté - de 1980 à 1999, le PIB par habitant a chuté de 2 300 à 1640 dollars - ont contribué à rendre le mélange explosif. Cependant, l'incapacité du régime à répondre aux attentes sociales et à moraliser la vie publique n'exclut pas une nouvelle vague de révolte.

Bouteflika peut-il tenir ses engagements ?

Par la magie du verbe, il a réussi à ranimer l'espoir, mais, dès qu'il a voulu passer aux actes, on a vu qu'il était totalement paralysé. La révolution culturelle du changement qu'il a provoqué se heurte aux forces bénéficiaires du régime, qui veillent à l'immobilisme - garant de leurs intérêts. Il n'y a pas pire ennemi des rentes de situation que le libéralisme. Bouteflika a manqué de stratégie dans la mise en œuvre de ses intentions. Le changement reste à l'état rhétorique, sans se traduire dans les textes et les lois. Et force est de constater que le président a moins de poids que ses généraux majors. Il n'a pas été capable de muter les décideurs. Face à lui, l'état-major reste soudé.

Une lecture moderniste de l'islam est-elle possible en Algérie comme en Iran ?

En Iran, elle a réussi à se faire entendre, car elle est née au sein de la mollarchie, c'est-à-dire du clergé. En revanche, dans le monde sunnite, cette tentative est le fait de musulmans éclairés, tel l'intellectuel égyptien Nasr Hamed Abou Zeïd, qui veulent adapter l'islam à l'esprit du temps. Ils sont frappés d'ostracisme par les radicaux, acharnés à maintenir la lettre du texte. En Algérie, non seulement il n'y a pas de grands oulémas, mais la doctrine extrémiste est importée d'Egypte et d'Arabie. La révolte algérienne où se manifestait, à la fin des années 80, une alliance entre la bourgeoisie pratiquante et les pauvres n'était pas d'esprit islamiste. C'était un désir de changement. En Iran, une telle alliance a réussi à s'emparer du pouvoir uniquement parce que le chah a pris la fuite. Tous les chefs d'Etat arabes ont retenu la leçon. Quel que soit le prix à payer, ils répriment.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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