20/05/2003 Texte

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L'Arabie saoudite épicentre de la terreur

Après les attentats de Riyad et Casablanca

Riyad, Casablanca... C'est une série soigneusement planifiée ?

- Pour moi, il y existe un lien tout à fait structurel. Du point de vue de ben Laden, l'Arabie saoudite et le Maroc font partie de l'alliance américaine. Dans son dernier message enregistré, en février, il les qualifiait d'apostats ­ ce qui vaut condamnation à mort en Islam ­ et il appelait à renverser leurs gouvernements. Qui plus est, la presse américaine a révélé que les États-Unis sous-traitent aux services marocains les interrogatoires de leurs prisonniers arabes de Guantánamo (les talibans et les islamistes arrêtés en Afghanistan sont gardés au secret sur l'île de Cuba, NDLR). Une raison supplémentaire de s'en prendre au Maroc.

Pour vous, la paternité d'Al-Qaida semble ne faire aucun doute...

- Je n'ai pas vu de papier à en-tête « Oussama ben Laden, montagnes d'Afghanistan » donnant l'ordre de commettre cinq attentats simultanés tel jour à telle heure. Mais il existe un réseau de gens qui s'inspirent d'un grand maître qui les a endoctrinés et entraînés dans les camps afghans ­ 18 000 personnes minimum y ont séjourné. Ils restent dans la mouvance, prêts à passer à l'acte.

La guerre d'Afghanistan, au lieu d'éliminer Al-Qaida, n'aurait fait que modifier sa structure ?

- Depuis le bombardement des montagnes de Tora-Bora (est de l'Afghanistan), en décembre 2001, le réseau est beaucoup plus décentralisé. Ben Laden est traqué, il a perdu son chef des opérations. Il n'y a plus de système de commandement où il appuie sur le bouton et le coup part. Mais tout est fin prêt, attendant un signal radio ou télévisé. On est désormais plus dans l'inspiration que dans l'instruction. Dans le cas de Casablanca, il y a peut-être eu une impulsion plus claire, récemment, pour fixer la date de l'attaque. Entre le 15 et le 20 mai, il y a un pèlerinage de la communauté juive internationale au Maroc. Des juifs résidaient à l'hôtel Safir, l'une des cibles. Ils n'y ont pas dormi ce soir nuit-là, ils devaient rentrer le lendemain.

Le Maroc avait, jusque-là, été épargné par le terrorisme. Ben Laden y dispose donc de filiales ?

- Depuis plus de trente ans, le régime saoudien y exporte sa doctrine wahhabite (fondamentaliste). Le Maroc avait besoin d'argent. En même temps que les pétrodollars, les émirs ont envoyé des oulémas, des barbus qui ont propagé l'Islam saoudien et distribué des bourses pour que les jeunes Marocains étudient à La Mecque, Médine ou Riyad. Tout cela fait qu'aujourd'hui 70 % des mosquées de Casablanca sont tenues par des wahhabites, alors que le Maroc est un pays de tradition malékite, très ouverte. Les Saoudiens ont par exemple imposé le cure-dents en bois, sous prétexte qu'à l'époque du prophète, il n'y avait pas de dentifrice. Ils ont préparé le terreau sur lequel prospèrent des groupuscules islamistes. On sait qu'il y avait des Marocains dans l'entourage de ben Laden : des cuisiniers, des gardes du corps, des secrétaires... Certains sont à Guantánamo.

La campagne de George Bush contre le terrorisme n'a-t-elle pas, finalement, disséminé la menace encore plus insaisissable ?

- Il est très réducteur de faire démarrer les choses avec la riposte aux attentats du 11 septembre, soit avec la guerre en Irak. Pour bien analyser la nature de la menace, il faut se replacer en 1989, au retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan. Les moudjahidine, notamment les Arabes, se sont attribué l'effondrement de l'Union soviétique. Ils se sont peu à peu émancipés du pouvoir saoudien qui leur avait donné mandat en Afghanistan pour se retourner contre l'autre État impie : les États-Unis, qui maltraitent les musulmans, s'alignent sur Israël, occupent la terre sacrée de l'Arabie, imposent un embargo à l'Irak. Il fallait frapper fort. En 1993, il y a eu le premier attentat contre le World Trade Center. On connaît la suite. Le problème est donc très profond. Le résoudre prendra au moins dix ans. Il ne suffit pas de jeter quelques terroristes en prison. Il y a une doctrine à désamorcer. Cette doctrine se trouve en Arabie, c'est là qu'est le coeur du problème.

Les Américains peuvent-ils s'y attaquer ?

- On ne peut pas divorcer du jour au lendemain d'avec la première puissance pétrolière du monde. On peut préparer ce divorce en substituant progressivement le pétrole de l'Irak au pétrole saoudien et, de ce fait, réduire l'influence saoudienne sur la scène pétrolière et l'influence wahhabite dans le monde.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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