11/10/2007 Texte

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Carlos Ghosn pourrait être l'homme idéal pour l'élection à la présidence du Liban

Au cours des cinquante dernières années, leLiban n'a connu que neuf ans de stabilité (1959-1968). La succession de plusieurs occupations étrangères, doublées par une guerre civile et régionale, ont mis le pays à genou, l'ont fait perdre ses défenses immunitaires et l'ont vidé de ses forces vives. Sa population n'en peut plus de devoir faire face à l'instabilité et à la violence, et ses élites ont pris le chemin de l'exil. Ils ont été remplacés, sous l'occupation syrienne, par un apport massif d'étrangers indûment naturalisés, venant notamment de Syrie.

La nature plurielle du Liban, avec ses dix-huit communautés religieuses, est incompatible avec toute forme d'autoritarisme. Ce pluralisme intrinsèque et constitutif de toute vie démocratique représente à la fois une richesse et une fragilité majeure, dans une région souvent marquée par des régimes autoritaires qui instrumentalisent la confrontation avec Israël au nom de la cause palestinienne «sacrée», pour confisquer les libertés fondamentales de leurs peuples et se maintenir au pouvoir.

Le Pays du Cèdre fait l'objet d'une rude compétition entre ambitions régionales, voire internationales. Chaque acteur cherche à l'insérer dans son camp et à en faire le champ clos de ses conflits. L'avantage du pluralisme oriental se transforme alors en inconvénient, puisque des communautés sollicitées, manipulées, montrent parfois - et au-delà de la proximité spirituelle - une plus grande loyauté à l'égard de l'étranger qu'à celui de leur propre pays. Dans ces conditions, la résurrection du Liban et la reconstruction de la nation passent par l'interruption de toute dépendance politico-financière avec l'étranger.

Les tentatives de mainmise sur le Liban ont été nombreuses: avec Nasser, Arafat, Assad, Saddam, les Saoudo-wahhabites... sans oublier Khomeiny qui a créé (1982), par décret et depuis Téhéran, une formation radicale, le Hezbollah, et y a investi plus de 30 milliards de dollars en un quart de siècle. A l'arrivée, cet investissement se révèle fructueux: Téhéran dispose désormais d'une puissante légion aux portes d'Israël qui a fait ses preuves en infligeant un sévère revers à Tsahal, en juillet 2006; et le Hezbollah, grâce au concept religieux de «wilayet el-faghih», se place sous l'autorité effective du Guide de la révolution iranienne, Ali Khamenei.

L'action sociale du Hezbollah ne doit pas masquer les missiles dont le «Parti de Dieu» est doté, ni son idéologie, qui fait du Liban une terre de propagation du Djihad contre Israël et les Etats-Unis. Jour après jour, le Hezbollah consolide son Etat dans l'Etat, «détricote» le pouvoir libanais, accélère le recrutement de son armée, financée par les pétrodollars iraniens, renforce ses arsenaux et multiplie ses bases de missiles, et va jusqu'à enterrer ses réseaux de communication militaires.

L'axe Téhéran-Damas instrumentalise le Liban par Hezbollah interposé, pour «défaire Israël et les Etats-Unis», selon l'expression du Guide iranien. En fait, pour créer une diversion et occuper Washington sur des fronts périphériques, les Iraniens disposent désormais du Hezbollah, du Hamas, d'une multitude d'organisations en Irak et en Afghanistan, sans oublier l'allié syrien, qui a son propre pouvoir de nuisance et en use sans retenue. L'axe chiite caresse un rêve secret: l'établissement d'une «République islamique» à dominante chiite sur les dépouilles de l'actuel Etat libanais.
Depuis la fin des années 1940, toutes les entreprises de déstabilisation du Liban présentent une même constante: elles passent systématiquement par la Syrie.

Lorsque Damas n'est pas l'acteur principal, il se révèle associé à la déstabilisation. En outre, de Zaïm à Nasser et jusqu'à Ahmadinejad, c'est par la frontière syrienne que tous les complots, l'acheminement d'armes et l'infiltration d'agents se font. Car la Syrie n'a toujours pas reconnu son voisin, encore moins installé une ambassade à Beyrouth, qui est réduite au rang de simple «préfecture maritime de Damas». Et ce, au mépris des résolutions de l'ONU et de la Ligue arabe.

Le règne absolu des Assad - père et fils - n'a fait qu'accentuer les ingérences. Ils ont colonisé le Liban et consacré toute leur énergie à le diviser pour mieux le dominer. Et quand l'heure de la retraite a sonné en 2004, grâce à la résolution onusienne 1559, parrainée par Paris et Washington, Damas s'est raidi, a imposé le prolongement du mandat d'un président collaborateur, Emile Lahoud, en violant la Constitution libanaise. Puis, il a méthodiquement éliminé ses opposants en commençant par Rafik Hariri (2005), comme l'en suspectent les enquêteurs internationaux, et jusqu'au député Antoine Ghanem (2007).

Depuis l'adoption du Tribunal international par le Conseil de sécurité pour juger les assassins, Damas s'acharne à briser le rêve souverainiste des Libanais, en s'appuyant sur ses agents pour venger son humiliante expulsion du Liban, en 2005. Il bénéficie sans doute de hautes complicités au sein de l'appareil sécuritaire libanais (installé sous l'occupation) qui ont permis d'exfiltrer le chef du Fatah-el-Islam du camp de Nahr el-Bared, Chaker Absi, et de ne jamais laisser aboutir aucune enquête sur les auteurs des assassinats politiques qui déciment les rangs des anti-syriens!
Soyons clairs: tant que la Syrie ne sera pas contrainte de changer de doctrine et de comportement, le Liban restera déstabilisé et ses amis continueront à payer le prix du sang pour le soutenir. Que de soldats français, européens et internationaux ont donné leur vie depuis vingt-cinq ans pour maintenir la paix à Beyrouth, comme à la frontière avec Israël! Et quel dommage que la Finul-II ne se soit pas déployée à la frontière avec la Syrie pour stopper le transit des missiles iraniens et des agents syriens. Et inversement, s'il faut prendre Damas au mot, lorsqu'il prétend que la Syrie est déstabilisée par des agents venant du Liban...

Le Pays du Cèdre est profondément traumatisé par les occupations successives ou conjointes qu'il a subies. La plupart de ses dirigeants ont collaboré, activement ou malgré eux, avec les puissances d'occupation, à tel point qu'on se demande s'ils sont encore susceptibles d'apporter le salut à ce pays et de le normaliser, après l'élection présidentielle (prévue d'ici au 24 novembre).

Trois conditions semblent impératives pour redresser le Liban: le soustraire progressivement aux conflits régionaux, en contrôlant hermétiquement la frontière syrienne - en érigeant même un mur -; accroître l'engagement de l'ONU dans cet Etat défaillant et surendetté (40 milliards de dollars); et élire un président doté d'une vision moderniste, qui n'ait à rougir d'aucun passé collaborationniste ou d'un manque de probité personnelle. Car, avant de songer à reconstruire le Liban, il convient de réhabiliter l'identité des Libanais, de décréter la neutralité de ce pays dans les conflits qui le dépassent, de renouer avec les valeurs d'un Etat de droit, de l'indépendance et de la croissance.

Si les rares «bons» candidats - qui n'aient pas collaboré avec l'occupation, qui n'aient pas été corrompus et qui ont une vision d'avenir - étaient localement rejetés, qui mieux que le patron de Renault-Nissan pourrait assumer une mission aussi difficile? Même si les sacrifices qu'il devrait consentir sont énormes. Il suffit de rappeler que deux présidents de la République et trois premiers ministres ont péri assassinés. Mais quel autre Libanais que Carlos Ghosn, qui a fait ses preuves sur trois continents, pourrait mieux contribuer à surmonter les défis de la reconstruction identitaire de son pays natal ?

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