11/04/2000 Texte

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Interview : « L'armée exerce la réalité du pouvoir »

Antoine Basbous, Directeur de l'Observatoire des Pays Arabes

Depuis l'élection d'Abdelaziz Bouteflika, l'Algérie a-t-elle vraiment changé ?

A
ntoine Basbous. L'Algérie a beaucoup changé, surtout en apparence. Désormais, elle est très présente sur la scène internationale. Bouteflika, qui préside actuellement l'OUA, est très actif en Afrique, au sein des pays arabes et auprès de l'Occident. Le président algérien est reçu partout. Ce qui rompt avec le style de ses prédécesseurs qui s'étaient enfermés dans leur pré carré. En outre, ses qualités de tribun, développées au cours de son long exil, ont fait de Bouteflika un chef d'Etat attrayant. Le président algérien laisse la porte « toujours ouverte » aux islamistes armés qui veulent se rendre.

N'est-ce pas l'aveu de l'échec de la loi sur la « concorde civile » ?

Antoine Basbous. La politique de réconciliation avec les islamistes armés a commencé bien avant l'arrivée de Bouteflika. Elle date de 1997. Le président n'a fait que lui donner une couverture légale, en juin 1999, puis en janvier 2000. Aujourd'hui, cette démarche s'avère insuffisante pour réduire la violence terroriste. Etant incapable « d'éradiquer » le terrorisme par la force, l'armée s'emploie à diviser les rangs islamistes, à ruser et à recourir à tous les moyens susceptibles de réduire les maquisards, tout en attribuant cette tactique sinueuse au président. La constante de l'armée a consisté à isoler les politiques qui représentent le FIS en s'adressant à leurs hommes armés, pris dans l'éclatement des maquis. Elle préfère traiter avec des « criminels repentis » plutôt que de reconnaître une « opposition politique » qui a versé dans la contestation armée.

Souvent présenté comme l'« otage » de l'armée, Bouteflika a-t-il aujourd'hui les mains libres pour réformer le pays ?

Antoine Basbous. Le fonctionnement interne du régime ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis l'arrivée de Bouteflika. Les généraux continuent à exercer la réalité du pouvoir alors que le président se contente - bien malgré lui - d'en incarner l'apparence. De ce fait, les réformes annoncées sont loin d'être au rendez-vous. Il faut reconnaître aussi la grande difficulté de ce chantier colossal. Tout est à refaire, à commencer par la réforme de la banque, du foncier, des instruments de la technologie moderne, d'une administration rongée par la corruption Le président algérien avait précisément promis de s'attaquer à la corruption La pratique de la corruption a été tolérée par le président Boumediene, à condition qu'elle soit « raisonnable ». Depuis le relâchement de l'autorité de l'Etat, elle a pris des dimensions très inquiétantes, surtout que le mauvais exemple est souvent venu « d'en haut ». L'arrivée de Bouteflika n'a pas beaucoup modifié la donne. Car il a privilégié les actions spectaculaires et les évictions inutilement humiliantes de hauts fonctionnaires.

(*) Chez Hachette Littératures, 285 pages, 120 F.
Propos recueillis par Bruno Fanucchi

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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