28/01/2003 Texte

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Une partition de l'Arabie saoudite est envisagée pour désarmer l'islamisme

Quel serait l’impact d’un conflit en Irak sur l’Arabie saoudite ?

Si la guerre se prolonge et s’enlise, avec des bavures et des victimes civiles, il sera difficile pour le pouvoir de tenir l’opinion publique à distance sans recourir à la répression car les Saoudiens sont très remontés contre les Américains. Une grande partie de l’opinion s’identifie à Ben Laden. D’ailleurs, 15 des 19 kamikazes de New York et de Washington étaient Saoudiens. La doctrine qui les a mobilisés est celle du wahhabisme, la religion d’Etat en Arabie. Le régime est aujourd’hui tiraillé entre son protecteur américain et sa base sociale wahhabite totalement hostile aux Etats-Unis. Les Saoud sont dans une position très inconfortable, placés entre le marteau américain et l’enclume wahhabite.

Qui détient la réalité du pouvoir en Arabie saoudite ?

Le pouvoir est partagé. Dans ce pays, il y a deux dynasties parallèles : celle des Saoud et celle des wahhabites. Ces derniers tirent leur nom de l’imam intégriste Mohammed Bin Abdelwahab, le cofondateur du royaume qui, en 1744, a noué une alliance à vie avec le guerrier Mohammed Bin Saoud. Leurs deux dynasties continuent de gouverner conjointement le pays. La vitrine du pouvoir appartient à la famille royale saoudienne, mais le contenu du régime est wahhabite. La société est entièrement tenue par les wahhabites. Ils prennent en main la population de la naissance à la mort. Il y a aussi un partage de la rente pétrolière. Les wahhabites disposent de budgets de l’ordre de dix milliards de dollars par an pour les ministères et les institutions qu’ils dirigent : l’enseignement, la justice, les radios islamiques, l’édition du Coran, le prosélytisme etc.

Quels sont les fondements et les caractéristiques de la doctrine wahhabite ?

C’est une interprétation littérale du Coran qui s’appuie sur une sélection des versets les plus belliqueux. Les wahhabites sont les rois de l’intolérance. Leur hostilité s’exerce à l’encontre du sunnite non wahhabite, du chiite et de tout musulman qui ne partage pas leur avis. Cela se termine par les chrétiens et les juifs. Ils s’accordent surtout une facilité déconcertante à décréter le « takfir », c’est-à-dire l’excommunion. Chaque musulman est alors habilité à tuer toute personne qualifiée de « kafer ».

Cette doctrine s’attache énormément aux apparences de la religion en négligeant la spiritualité. Les wahhabites dictent la taille de la barbe, décrètent qu’il faut se raser la moustache, déterminent la hauteur du vêtement des hommes et affirment que l’on doit se curer les dents avec du bois spécifique. A l’époque où ces critères ont été édictés par le Prophète, il n’y avait bien entendu ni brosse à dents ni dentifrice. Mais aujourd’hui, les wahhabites continuent de dire qu’il faut imiter le Prophète, c’est-à-dire utiliser tel type de bois pour se curer les dents…

Ben Laden est-il un wahhabite marginal ou reflète-t-il un courant répandu en Arabie saoudite ?

Ben Laden est le représentant authentique du wahhabisme saoudien. Il met en œuvre ce qu’il a appris depuis son enfance sans faire de concessions. Les oulémas wahhabites du Palais professent une chose mais se couchent souvent devant le roi pour éviter la « fitna », la guerre civile. Ben Laden, lui, applique à la lettre ce qu’on lui a enseigné. L’état d’esprit de ce courant a été influencé par deux évènements majeurs. D’abord, la révolution iranienne de 1979. Elle a donné des ailes à la mouvance islamiste qui s’est rendue compte qu’elle pouvait changer le cours des évènements par la force. Ensuite, les islamistes se sont attribués la débâcle de l’Armée rouge en Afghanistan. Après cela, ils se sont dit que puisqu’ils avaient battu une grande puissance mondiale, ils pouvaient maintenant corriger leurs propres régimes en imposant l'application stricte de la charia, la loi islamique.

Dans quelle mesure Ben Laden menace-t-il le régime saoudien ?

Ce régime redoute d’être débordé par Ben Laden et sa mouvance. D’autant plus que les statistiques disponibles laissent penser que ce courant est largement majoritaire en Arabie saoudite. Les Saoud sont aujourd’hui un peu dans la même situation que le Chah d’Iran à la veille de la révolution de Khomeiny : ils incarnent un régime usé, une dynastie coupée des réalités et réfugiée derrière les hautes murailles de ses palais. Ils ont abandonné la gestion de la société aux wahhabites. Si les Saoud tombent, la seule force de substitution serait celle des wahhabites qui sont les « khomeinystes du sunnisme ».

Il n’y a donc pas d’alternative entre une famille royale richissime et corrompue et un clergé intégriste ?

Si. Certains ont imaginé un autre scénario qui pourrait intervenir à la faveur des crises régionales : la sécession de l’est du pays, qui abrite les principaux gisements pétroliers et l’importante minorité chiite (10% de la population). C’est une hypothèse qui avait été soulevée par Henry Kissinger au lendemain du premier choc pétrolier et qui pourrait revenir au goût du jour. Il y a un gros passif historique entre les chiites, malmenés depuis des lustres, et les wahhabites, issus du Najd, le cœur même de l’Arabie. Les chiites ont le sentiment d’être une minorité persécutée. Il n’est donc pas impossible qu’ils réclament une autonomie, comme celle dont bénéficient les Kurdes d’Irak depuis 1991. Ce faisant, ils pourraient alors contrôler l’essentiel de la rente pétrolière. La sécession des chiites, celle des trois provinces arrachées au Yemen et, au besoin, celle du Hedjaz, berceau de l’Islam, pourrait intervenir au gré des crises. Après tout, l’Arabie saoudite n’est unifiée que depuis 1932 et ses frontières ne sont ni plus ni moins artificielles que celles d’autres pays qui ont implosé au cours de la décennie écoulée. Puisque l’Arabie est aujourd’hui le pays qui entretient la doctrine wahhabite, la finance et l’exporte dans le monde entier, elle risque un jour ou l’autre d’en payer le prix. Or, comme les Saoud sont incapables de désarmer l’islamisme, les Américains pourraient s’en charger.

Un soulèvement chiite est susceptible de constituer le début de ce chambardement. Certains stratèges américains pensent ainsi désamorcer le vivier qui a conduit aux attentats du 11 septembre 2001.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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