09/10/2001 Texte

pays

<< RETOUR

« Les Arabes se sentent floués »

Pourquoi la crise afghane plonge-t-elle le monde arabo-musulman dans un tel embarras ?

Antoine Basbous
. Parce que la plupart de ses gouvernements sont liés d'une façon ou d'une autre aux Etats-Unis. Certains, l'Arabie Saoudite et le Koweït, dépendent directement, pour leur survie, du stationnement chez eux de troupes américaines. Si les Américains s'en allaient, Saddam Hussein les menacerait aussitôt d'invasion. C'est pourquoi l'Irak reste sous surveillance. D'autres, comme l'Egypte, reçoivent une aide de Washington. Depuis les accords de Camp David, Le Caire touche par an quelque 2 milliards de dollars en aides militaire et civile.

Comment expliquez-vous l'anti-américanisme de l'opinion arabe ?


Antoine Basbous. Par deux raisons. D'abord, le problème de l'Irak : les Arabes ne comprennent pas pourquoi l'embargo se poursuit au détriment de la population, alors que les Américains n'ont pas été capables de débarquer Saddam. Ensuite, ils se sentent floués sur la question palestinienne : en 1990, quand les Etats-Unis ont formé leur coalition, ils ont convaincu les pays arabes de les rejoindre en leur promettant que, sitôt le Koweït libéré, ils régleraient le problème israélo-palestinien. Or, onze ans après la guerre du Golfe, les Palestiniens n'ont toujours pas d'Etat.

Les condamnations des attentats du 11 septembre répondent donc davantage à une obligation diplomatique qu'à un cri du cœur. Ces gouvernements risquent-ils d'être débordés par la rue ?


Antoine Basbous. La plupart disposent d'importants moyens de répression. Pourraient-ils arrêter des marées humaines qui descendraient dans la rue ? Ce n'est pas sûr. Je note que l'Egyptien Moubarak a pris ses distances avec Washington, alors que son régime est victime du terrorisme islamiste. La Ligue arabe est sur la même ligne. Les Arabes ne veulent pas être floués une deuxième fois. Et les Etats modérés craignent qu'une guerre d'usure contre Ben Laden n'amène à celui-ci de nouvelles recrues.

Washington menace d'agir contre d'autres pays que l'Afghanistan. Qui pourrait se sentir visé ?

Antoine Basbous. C'est difficile à dire, mais certains régimes qui ont un passé terroriste peuvent être concernés. Il s'agit essentiellement du Yémen, du Soudan, de la Syrie. Le Yémen, par exemple, compte encore de nombreux « Afghans » arabes, proches des réseaux visés. Plusieurs attentats anti-américains ont eu lieu sur son territoire, comme l'explosion du croiseur « USS Cole » à Aden il y a un an (NDLR : 17 morts) . Or ce pays se refuse toujours à une collaboration avec le FBI. De plus, des camps de la mouvance Al-Qaida (NDLR : « la base », réseau de Ben Laden) sont installés au Yémen.

Et le Soudan ?

Antoine Basbous. Il a rompu avec Ben Laden en 1996. Et le cheikh Tourabi, un parrain de Ben Laden, est aujourd'hui en résidence surveillée. Aujourd'hui ce pays n'est plus une cible.

L'Iran, l'un des plus grands Etats musulmans, reste-t-il un ennemi de l'Amérique ?

Antoine Basbous. Non. L'époque où le pays de Khomeyni commanditait des attentats et des prises d'otages à travers le monde est révolue. Les mollahs au pouvoir et l'opinion cherchent désormais l'ouverture sur l'Occident, sans abandonner les valeurs de la civilisation islamique. Reste la Syrie, qui pose problème.

Pourquoi ?

Antoine Basbous. Elle a pratiqué le terrorisme d'Etat en manipulant des organisations comme l'Asala, le PKK et plusieurs groupes palestiniens. Ils étaient basés soit en Syrie soit dans la Bekaa libanaise. Problème : ce régime n'a rien renié. La politique d'Assad se poursuit avec son fils Bachar. Les officiers qui ont mené ces opérations terroristes sont toujours en place.

Propos recueillis par Henri Vernet

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |