11/09/2002 Texte

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Les racines de l'islamisme sont profondes

Son expansion va provoquer le divorce américano-saoudien « C'est une guerre d'usure »

« Sud-Ouest ». Pour vous, le 11 septembre est une très vieille histoire...

Antoine Basbous. Oui. Il s'inscrit dans la logique d'un combat qui a commencé en 1744, avec l'alliance scellée entre les wahhabites et la famille des Saoud. Cinquante ans avant la Révolution française. Trente-deux ans avant l'indépendance des Etats-Unis. Le wahhabisme un mouvement de réforme pour revenir aux premiers siècles de l'islam, dont il fait une lecture sélective est un islam belliqueux qui préconise le djihad contre tous les « hérétiques » et, bien sûr, les infidèles, chrétiens et juifs. C'est cette alliance qui a fondé l'Arabie saoudite, le pays de Bin Laden (1), dont venaient quinze des dix-neuf kamikazes du 11 septembre.

Pourquoi l'explosion maintenant ?

Les wahhabites sont sortis de leur sanctuaire pour faire alliance avec les Américains pendant toute la guerre froide et combattre les régimes alignés sur l'URSS. En Afghanistan, ils se sont attribués la défaite de l'Armée rouge. Ils ont pris conscience qu'ils pouvaient faire tomber les empires et chuter les superpuissances. Le wahhabisme est ainsi la matrice de tous les mouvements islamistes sunnites à travers le monde, qui se sont ressourcés dans ses universités, ont bénéficié de l'aide du régime saoudien, et ont quasiment tous fait campagne en Afghanistan pour apprendre le maniement des armes et des explosifs.

Et l'Occident s'est laissé surprendre ?

Lorsque les Américains ont abandonné cet allié de circonstance après la défaite de l'ennemi commun soviétique, ils ont oublié qu'ils avaient laissé derrière eux des orphelins. Ils pensaient que ces Arabes, ces musulmans, ne passeraient jamais à l'action. Mais Bin Laden, ce n'est pas Saddam qui promet tous les ans la mère des batailles. Lui, quand il menace, il exécute. En frappant les Etats-Unis, parce qu'ils sont le « grand Satan » qui tient l'économie globalisée et méprise les petits en Palestine, en Irak ou ailleurs, Bin Laden et les siens sont convaincus que les « petits Satans » Europe, Arabie... tomberont d'eux-mêmes. Ils sont convaincus que Dieu les aidera, comme il avait permis à l'Islam de s'étendre sur presque tout le pourtour méditerranéen. Le rêve de Bin Laden est de réhabiliter le khalifat aboli par Atatrk en 1924.

Il est encore loin du compte...

Sans doute. Mais il surfe sur les frustrations des musulmans blessés, humiliés, qui dépendent de tout alors qu'ils ont été un moment les maîtres du monde. A mon sens, l'islamisme est en train de progresser partout. Il est indomptable parce que, en face, il n'y a aucune force crédible pour présenter des solutions. Tous les régimes arabes ont créé leurs islamistes de service. Mais les gens n'y vont pas. Au contraire, Bin Laden fascine les opinions publiques arabes. Cet homme, né avec une cuiller en or dans la bouche, vit de rien dans les maquis. Alors que les régimes arabes sont corrompus, lui ne se met pas d'argent dans la poche. C'est pourquoi l'on n'hésite pas à lui verser la zakat, l'aumône. Alors que les dirigeants arabes sont impuissants, lui a fait pleurer les Américains en direct, à la télévision.

Comment, dans ces conditions, les Etats-Unis et l'Arabie saoudite peuvent-ils encore faire cause commune ?

Le mariage, scellé par les deux grands-pères de la nation, Roosevelt et Abdelaziz, était une affaire d'argent. Aujourd'hui, c'est vrai, le couple est au bord de la rupture. Les deux peuples se détestent. Mais il y a des papiers à régulariser; des opportunités à saisir. Car le divorce sera coûteux. L'Occident dépend du pétrole saoudien. L'intervention projetée en Irak n'a d'autre objectif que de substituer le pétrole irakien au pétrole saoudien pour solder le divorce.

Au risque de révolter les opinions arabes et de déstabiliser les « régimes modérés » ?

Ils sont tous d'ores et déjà déstabilisés, et ne tiennent que par la répression. Quant aux populations, elles sont malmenées, sans liberté ni bien-être. Et elles ont dû avaler beaucoup de couleuvres sans trop réagir. Certes, plusieurs facteurs pèseront sur leurs réactions : y aura-t-il ou pas aval de l'ONU ? Y aura-t-il des promesses sérieuses sur les droits des Palestiniens ? Des avancées pour le développement ? Mais, en réalité, les populations y regarderont à deux fois, car elles se sentent impuissantes face à des régimes policiers. En 1982, Assad a tué en cinq jours 30.000 Syriens à Hama, et cela n'a fait que consolider son régime.

Et les régimes « modérés » ne pourront pas plus s'opposer aux projets américains qu'ils n'ont réussi à fléchir Bush sur la question israélo-palestinienne ?

Ils sont inquiets pour la simple raison qu'ils se demandent : « Après l'Irak, ce sera au tour de qui ? » Car ils ont tous quelque chose à se faire reprocher vis-à-vis des Américains. Ils ne sont pas libres d'exercer un rapport de force sur Washington. En outre, ils n'ont pas une communauté de valeurs.

Alors, on va à l'affrontement frontal entre Islam et Occident ?

On est entré dans une guerre d'usure planétaire. Autour de l'arc islamique, toute une opération d'encerclement est en cours. Et si les musulmans ne se démarquent pas du discours de Bin Laden, n'y dénoncent pas une dérive sectaire, alors oui, on va vers un affrontement entre l'Islam et l'Occident. Il est de la responsabilité des musulmans de dire qu'ils sont les victimes de Bin Laden, et aux oulémas, aux autorités religieuses, d'opposer le Coran à ses assertions.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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