04/03/2005 Texte

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Les Etats-Unis sont capables de bombarder les installations nucléaires en Iran

France-Soir: Comment analysez-vous aujourd'hui la situation au Liban, après la démission du Premier ministre Karamé ?

Antoine Basbous:
La situation est très prometteuse. Le camp de la collaboration est psychologiquement défait, même s'il détient bien des cartes pour tenter de redresser la situation en jouant la politique du pire. Il n'a plus rien à perdre. La volonté affichée par des Libanais de toutes confessions et de tous bords politiques de bouter les Syriens dehors est confortée par la colère arabe contre Damas et par la détermination de la communauté internationale menée par une alliance franco-américaine pour délivrer le Liban de l'occupation et permettre à la démocratie de ressusciter au pays du Cèdre.

Quelle va être, selon vous, l'attitude de la Syrie ?

Antoine Basbous: Damas manœuvre pour échapper à l'étau qui se referme sur lui. La Syrie a tenté de faire quelques concessions périphériques pour sauvegarder l'essentiel: sa colonie libanaise. Ainsi, il faut interpréter la récente livraison du demi-frère de Saddam aux Américains alors qu'il avait établi son quartier en Syrie depuis presque deux ans en y plaçant des fonds énormes. Mais ce "cadeau", loin de calmer les Américains, va les inciter à réclamer davantage en multipliant les pressions qui sont le seul moyen efficace pour faire plier la Syrie. Et surtout ces concessions n'entraîneront pas l'acceptation du statu quo de l'occupation du Liban par les puissances occidentales.

Pourquoi l'assassinat de Rafic Hariri a-t-il provoqué une telle réaction ?

Antoine Basbous: Rafic Hariri, qui était capable d'appeler une cinquantaine de chefs d'Etat d'Occident et d'Orient, était le plus illustre parmi un milliard de sunnites. De plus, sa mort est intervenue à un moment de profonds changements, dans le jeu libano-syrien, mais aussi dans le Moyen-Orient, alors que la victoire des chiites en Irak établit un « croissant chiite » qui s'étend de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas, contrôlé par la minorité allaouite, proche des chiites. Son assassinat marque une volonté des Syriens de conserver la mainmise sur le pays.

Pour vous, la responsabilité syrienne ne fait pas l'ombre de doute ?

Antoine Basbous: La responsabilité syrienne est évidente. Dans les semaines précédentes, Hariri avait reçu plusieurs avertissements de la part des services de renseignements syriens. Les Etats-Unis et l'Union européenne avait d'ailleurs mis en garde Damas conte une attaque visant l’ancien Premier ministre. Mais les autorités syriennes ont refusé de jouer le jeu. Si elles se retirent du Liban, elles estiment qu’elles seront privées de l'essentiel de leurs ressources : racket de l'économie libanaise, trafics en tous genres et une carte majeure au Proche-Orient. Mais à force de jouer les troubles-fêtes au Liban, en Israël, en Palestine, sans avoir acheté le moindre char depuis 15 ans, le régime de Damas est devenu vulnérable et très fragile. Il suffit de le secouer pour qu'il tombe.

Avec leur « front uni », la Syrie et l'Iran ont-ils déclaré la guerre à l'Occident ?

Antoine Basbous: Non. Je pense que ces deux Etats sont sur la défensive. Mais leurs régimes peuvent montrer une grande agressivité pour se maintenir au pouvoir. Aujourd'hui, les dirigeants de ce type de régimes s'inquiètent légitimement de leur propre avenir, s'ils devaient quitter un jour le pouvoir, quel pays leur accorderait le statut de réfugié politique ?

La victoire chiite en Irak semble tout de même les renforcer.

Antoine Basbous: Il y a une inconnue en Irak. La liste chiite qui l'a emporté est composée de membres qui s'opposent : des laïcs et  des fondamentalistes religieux. On ne sait pas encore quelle tendance va l'emporter. En tout cas, les élections irakiennes ont changé la donne : elle marque une résurrection de l'identité chiite au Moyen-Orient. La victoire de la liste chiite va renforcer les revendications des minorités chiites au Koweït, à Bahreïn et dans le nord de l'Arabie Saoudite.

Avez-vous le sentiment que les Etats-Unis et l'Europe se sont rapprochées ces dernières semaines ?


Antoine Basbous: Les occidentaux ont trouvé un point d'appui dans la crise Liban/Syrie avec la résolution 1559 adoptée grâce à une pleine coordination de Paris et Washington. La France et l'UE se montent également plus souples face à l'Irak depuis les élections. Enfin, la mort d'Arafat a provoqué un rapprochement Etats-Unis/Europe. On ne peut pas être plus royaliste que le roi, et Mahmoud Abbas a modéré le discours palestinien.

Il reste le dossier iranien, sur lequel ils sont en profond désaccord.

Antoine Basbous: Oui, mais les trois pays européens qui négocient [France, Allemagne, Grande-Bretagne, NDR], ne sont pas satisfaits car les Iraniens sont les rois du double, triple, voire quadruple langage. Et l'Union Européenne n'a pas de pouvoir de dissuasion assez fort pour les faire plier. J'ai peur que la diplomatie ne montre vite ses limites.

C'est un scénario à l'irakienne ?


Antoine Basbous: On rentre dans un processus qui va conduire aux pressions qu'avaient subies Saddam Hussein. Mais l'Iran est un gros morceau ! Bien plus gros que l'Irak. Et avec leurs forces stationnées en Irak, les Etats-Unis n'ont pas assez de troupes pour une nouvelle intervention. Mais ils peuvent bombarder les installations nucléaires de l'Iran.

Faisons de la politique/fiction : que ferait alors l'Iran ?

Antoine Basbous: Téhéran réagirait , et le ferait payer aux Etats-Unis et à Israël. Elle a des moyens de pression, avec les chiites irakiens ou le Hezbollah. Ce ne serait pas une partie de plaisir, sauf si le régime tombe. Car à l'opposé des pays arabes, l'Iran a un pouvoir anti-américain, avec une population pro-américaine. Si le régime montre des signes de faiblesse, la population pourrait accélérer sa chute.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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