17/04/2003 Texte

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"La Syrie risque de souffrir"

Le Quotidien d'Oran: Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les responsables américains multiplient les accusations graves contre la Syrie. Comment peut-on interpréter ces déclarations ?

Antoine Basbous :
La Syrie a un vieux contentieux avec les Etats-Unis. Les Américains veulent retrouver les personnes qu’ils jugent responsables de la mort de leurs soldats et diplomates au Liban, en 1983: plus de 300 Américains ont été tués dans des attentats. A mon avis, c’est dans ce dossier qu’il faut d’abord chercher l’explication aux dernières déclarations américaines contre la Syrie. Ensuite, récemment, lors de la guerre en Irak, le régime syrien avait maladroitement parié sur un échec des Américains en Irak. Il a laissé transiter des moudjahidine arabes vers l’Irak par son territoire. Il a hébergé des familles de dirigeants irakiens, voire, selon certaines sources, des dirigeants irakiens eux-mêmes. Du coup, aujourd’hui, les contentieux entre la Syrie et l’Amérique sont devenus multiples. Et les Américains font un lien direct entre le régime irakien et le pouvoir syrien qui, il est vrai, se ressemblent beaucoup sur de nombreux points (non-respect de la démocratie, appartenance au Baas...). Enfin, à cela s’ajoute le fait que la Syrie est accusée par les Etats-Unis de détenir des armes de destruction massive. Des accusations qu’il faudra, bien sûr, prouver.

Q.O.: Mais en désignant la Syrie comme un «Etat terroriste», les Américains n’obéissent-ils pas aux Israéliens qui souhaitent voir leurs alliés les débarrasser d’un voisin gênant ?


A.B.: Evidemment, l’Etat hébreu profite pleinement de la situation. Mais je pense que les Américains agissent dans la région d’abord pour leurs propres intérêts, avant de penser à ceux d’Israël. Car indépendamment d’Israël, la Syrie a pris une place importante dans cette région, qui n’est pas justifiée au regard de l’histoire de ce pays. Et puis le pouvoir syrien a pratiqué un terrorisme d’Etat, hébergé des terroristes internationaux, occupé le Liban... C’est un régime qui a des choses à se reprocher.

Q.O.: Mais la Syrie, dont une partie des territoires est occupée par Israël, a-t-elle d’autres choix que de soutenir les mouvements de la résistance palestinienne que les Israéliens et les Américains appellent terroristes ?

A.B.:
Effectivement, il s’agit d’un point important qui mérite un éclairage. Washington qualifie ce que fait la Syrie de terrorisme, alors que Damas considère le Hezbollah et les organisations palestiniennes comme des mouvements de résistance.

Q.O.: Quelle est la marge de manoeuvre du gouvernement syrien face à cette menace américaine ? Comment peut-il faire pour faire éviter à la Syrie le même sort que l’Irak ?

A.B.: Aujourd’hui, la marge de manoeuvre du pouvoir syrien est étroite. Il ne peut même pas compter sur le soutien des autres régimes arabes de la région. Avant la guerre en Irak, il avait lancé des manifestants dans les rues de Damas contre les ambassades d’Egypte, de Jordanie et d’Arabie Saoudite pour désigner ces pays comme des traîtres qui collaborent avec l’ennemi américain. Car Bachar Al Assad avait parié sur un échec des Américains dans le conflit. La Syrie risque de souffrir et d’être obligée de devenir plus discrète sur la scène régionale.

Q.O.: Après l’Irak, les Américains laissent entendre qu’ils s’attaqueront à la Syrie. Quelle sera leur prochaine cible dans la région ?

A.B.: D’abord, il faut attendre l’évolution de la situation en Irak de laquelle va dépendre la suite des événements dans la région. Les Américains se sont lancés dans une entreprise de longue haleine qui peut réussir mais qui risque aussi d’échouer. Dans ce dernier cas, on reviendrait aux temps des nationalistes arabes, voire des mouvements islamistes. L’opération américaine en Irak n’aura alors servi qu’à éliminer un seul homme, Saddam Hussein, et son clan. Mais s’ils réussissent, ils risquent de s’occuper d’autres pays de la région. En plus de la Syrie, il y a l’Arabie Saoudite qui les intéresse de très près. Il ne faut pas oublier une chose: si les Américains sont aujourd’hui dans la région c’est essentiellement à cause du 11 septembre. Or, sur les 19 kamikazes arabes qui avaient commis les attentats, 15 étaient de nationalité saoudienne. Je ne vois pas les Américains occuper militairement le Royaume, car ils y sont déjà depuis 12 ans. Mais ils risquent de lui imposer des réformes pour réduire l’influence des wahhabites dans la société. En revanche, l’Iran n’est pas menacé dans l’immédiat.

* Edition réactualisée. Perrin, Paris

Propos recueillis par Lounès Guemache

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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