27/08/2001 Texte

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Liban : halte à la junte militaire

Proche-Orient : à deux mois du sommet de la francophonie à Beyrouth

A deux mois de la tenue du sommet de la francophonie à Beyrouth, le régime libanais a franchi un pas supplémentaire dans la répression de ses opposants et révélé une dérive bien inquiétante : la réalité du pouvoir est désormais exercée par une junte informelle pour le compte de Damas et avec l’assentiment de politiciens qui doivent leurs postes et leur fortune à la Syrie. L’armée libanaise, dont est issu le président Lahoud, vient de discréditer le Parlement en lui imposant - en violation explicite de la constitution - de revenir sur son vote, dix jours après avoir adopté le code de procédure pénale. Le nouveau code réduit drastiquement les droits des prévenus. Aussi, elle a entrepris de saper le zest d’autorité qui restait au gouvernement. En effet, la vaste campagne d’arrestations arbitraires, entamée début août dans les rangs des militants souverainistes qui réclament le retrait de l’armée syrienne, a été menée sans mandat d’arrêt et à l’insu du Premier ministre et du ministre de la Justice!

Rafic Hariri a dû reconnaître publiquement son impuissance, tout comme son incapacité à stopper les écoutes téléphoniques qui n’épargnent pas ses propres lignes ! En agissant de la sorte, la junte libanaise vide les institutions de leur substance et « clone » le modèle syrien en s’accordant des pouvoirs exorbitants en violation de la constitution, des libertés publiques et des principes élémentaires de la démocratie et de l’Etat de droit. Au lieu d’assumer son rôle de bouclier – à l’instar de toute les armées du monde – en se déployant dans le sud évacué par Israël, l’armée a préféré confisquer les prérogatives des institutions et mener la chasse aux sorcières.

Au même moment, un député syrien, Ma’moun Homsi, qui menait une grève de la faim, a été arrêté sans que son immunité parlementaire ne soit levée. Son tort : avoir réclamé la mise en place des réformes promises par le jeune président syrien, dont l’instauration d’un Etat de droit et la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis une quarantaine d’années. Il a rejoint les centaines de prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles syriennes. Les espoirs de modernité soulevés par l’arrivée de Bachar el Assad se sont vite dissipés. L’emprise des services de sécurité et du parti Baas sur les rouages du pouvoir en Syrie et au Liban ne se démentent pas. Sur les quatre successions, récemment intervenues dans les pays arabes (en Jordanie, à Bahraïn, au Maroc et en Syrie), celle de Damas se révèle bien décevante. La succession des générations et l’avènement d’un nouveau siècle n’a entraîné aucune ouverture démocratique ni relâché les contraintes des Services sur la société civile.

L’élection d’Ariel Sharon à la tête du gouvernement en Israël a été une formidable occasion pour les régimes syriens et libanais. Elle leur a permis de justifier le durcissement de la répression de leurs sociétés respectives au nom de la mobilisation face au « danger sioniste ». Pourtant, Israël n’a pas été handicapé par la démocratie - dont jouit sa composante juive - pour s’imposer dans le Proche-Orient depuis 53 ans. Les sociétés arabes n’ignorent pas que l’Etat hébreu n’a jamais tiré prétexte de l’état de guerre avec ses voisins pour instaurer un pouvoir dictatorial.

Au Liban, dès qu’un patriote réclame la fin de l’occupation et de la colonisation syrienne de son pays, il est automatiquement accusé d’œuvrer pour le compte d’Israël et de participer à un « complot sioniste ». La junte veut criminaliser toute revendication souverainiste et stopper les prémices de la réconciliation nationale. En effet, la dernière rafle des opposants est intervenue au lendemain de la réconciliation historique scellée entre les Maronites et les Druzes, à travers leurs dirigeants les plus représentatifs : le cardinal Sfeïr et Walid Joumblatt. Le périple de Mgr Sfeïr dans le Chouf - le premier d’un patriarche depuis un siècle et demi - et l’accueil exceptionnel que lui a réservé M. Joumblatt ont lancé une dynamique de réconciliation que la Syrie et ses harkis ne pouvaient tolérer puisqu’elle portait en elle les germes susceptibles de mettre un terme à l’occupation.

Loin de réduire la contestation, la répression a créé une dynamique de rassemblement national pour la défense des libertés publiques et de l’Etat de droit. Des dirigeants représentatifs de droite comme de gauche, des Chrétiens et des Musulmans, des syndicalistes, ainsi que plusieurs ministres en exercice, se sont mobilisés pour condamner la brutalité des moukhabarates. Le ministre de la Justice a fustigé « ceux qui ont écrasé de leur semelle les nuques des citoyens » ; et celui de l’Information a exigé que « les agents en civil qui ont tabassé les jeunes, facilement reconnaissables grâce aux images de la télévision, soient arrêtés et jugés ainsi que leurs supérieurs ». Tous les forums de la société civile ont vigoureusement condamné ces pratiques en contradiction avec les valeurs d’une société fondée sur la diversité et la liberté.

Mais pour se maintenir au pouvoir, l’armée libanaise, les politiciens et les affairistes liés à Damas tiennent à l’occupation syrienne. Ils font des concessions stratégiques à Damas et s’octroient des avantages dans le domaine des affaires. Les principaux dirigeants syriens détiennent des pans importants de l’économie libanaise à travers des prête-noms. Le marché très juteux des concessions de la téléphonie mobile en est une éclatante illustration. L’enrichissement de l’occupant et de ses harkis se fait au détriment des intérêts du Liban dont l’endettement - supérieur à 27 milliards de dollars - représente plus de 150% du PIB. Le déficit budgétaire pour l’année 2001 est estimé à 51%. Malgré la crise économique, un million de travailleurs syriens s’incrustent au Liban poussant les jeunes vers l’émigration.

Le comportement putchiste de l’armée a provoqué une fuite des capitaux sans précédent. Les institutions de la finance internationale redoutent que les réserves du Liban en devise se réduisent à près de 460 millions de dollars, à la fin de l’année, alors que le soutien de la Livre a coûté à la Banque du Liban plus de 1,5 milliards de dollars en huit mois.

Comment convaincre, dans ces conditions, la Banque mondiale, l’Union européenne, la France, les pays donateurs, les investisseurs, sans oublier la diaspora libanaise de soutenir un Etat qui s’acharne à entretenir l’occupation de son territoire, à précipiter sa faillite, à entraver la réconciliation entre ses citoyens, à terroriser ses ressortissants et à piétiner les droits de l’homme ainsi que les principes de l’Etat de droit ? Eu égard cette dérive, ne serait-il pas légitime pour la France de demander des garanties qui conditionnent la tenue, à Beyrouth, du sommet de la francophonie?

© Le Figaro, 2001. Droits de reproduction et de diffusion réservés.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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