09/11/1998 Texte

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Election d’Emile Lahoud

Choisi par Damas, le président (chrétien) Emile Lahoud aura-t-il les moyens de restaurer l'Etat de droit ? Liban: la voie étroite

Qui aurait cru que le président Assad allait choisir, le 5 octobre, le général Emile Lahoud pour présider aux destinées de la République libanaise, au lieu de lui préférer un candidat insignifiant? La chambre d'enregistrement qu'est devenu le Parlement libanais a légalisé le choix de Damas, en un temps record et avec une unanimité digne des démocraties arabes. Aucune voix des 118 députés présents, sur les 128 que compte le Parlement, n'a manqué au général-président. Il faut dire que les députés libanais ont été, à une écrasante majorité, cooptés par Damas et élus grâce à son soutien. Cette assemblée, jadis un espace de liberté unique dans les pays arabes, a rejoint les fâcheuses traditions de son environnement, où les présidents sont élus et reconduits à leur poste tant qu'ils sont en vie avec une majorité avoisinant les 99,99%, tels les présidents de Syrie, d'Irak ou d'Egypte. La surprise du choix syrien vient du fait que le commandant en chef de l'armée libanaise est un homme crédible, issu d'une vieille famille du Mont-Liban, et dont les idées sont méconnues du grand public. En outre, cet homme virtuellement fort ­ il a mis sur pied et réorganisé l'armée, comptant désormais plus de 65 000 hommes ­ n'est pas lié à la grande corruption.

Pour une fois, le choix d'Assad a correspondu aux attentes des Libanais exprimées dans plusieurs sondages d'opinion (même si cette technique balbutiante au Liban est encore imprécise). On doit s'interroger sur les raisons d'un tel choix syrien. S'agit-il de récompenser un homme, pendant neuf ans à la tête de l'armée, qui a donné satisfaction au grand frère en plaçant les hommes de la Syrie aux postes de commandement, en envoyant les officiers libanais dans les académies militaires syriennes au lieu des prestigieuses écoles de guerre occidentales, en engageant les services de l'armée dans la répression contre les opposants de Damas? A-t-il donné des gages au grand électeur pour mériter sa place à la tête de l'Etat ou encore Assad a-t-il compris qu'il vaut mieux, pour son régime, remettre sur pied un voisin dont l'effondrement provoquera inéluctablement une explosion sociale en Syrie, avec le retour au pays de près de 1 million de travailleurs syriens, qui rapatrient près de 3 milliards de dollars par an? L'avenir le dira.

Une question fondamentale demeure: quelle est l'étendue des pouvoirs dont bénéficiera Lahoud? Pourra-t-il ordonner le retrait des 2 000 soldats syriens qui campent aux abords du ministère de la Défense et de la présidence de la République? Pourra-t-il ordonner la levée des barrages syriens du Grand Beyrouth? Aura-t-il au moins autant de prérogatives que les généraux syriens au Liban?

La population est impatiente de le voir mettre un terme à la corruption, un fléau national. Mais aura-t-il les moyens de sévir contre les barons de la politique, associés en affaires aux fils des dirigeants syriens, contre ceux-là même qui ont plaidé sa cause à Damas et parfois contre certains de ses proches?

Les attentes de la communauté chrétienne (à laquelle appartient le général-président) sont multiples. D'autant que les chrétiens se sentent marginalisés et exclus de toute participation aux affaires publiques depuis leur déchirement, leur défaite militaire et la signature de l'accord de Taëf.

L'ensemble du peuple libanais rêve de changements. Il attend du futur président qu'il mette un terme aux arrestations arbitraires, aux violations des droits de l'homme commises par les différents services libanais et syriens. Le pays rêve d'un Etat de droit et redoute la réédition des dépassements commis à l'époque du chéhabisme, quand le deuxième bureau de l'armée régissait la vie politique au détriment de la lutte contre les multiples dangers extérieurs qui guettaient le pays.

Le président élu héritera d'un Etat, dont 10% de son territoire, dans le Sud, sont occupés par l'armée israélienne, et le reste par l'armée syrienne. Il est sans doute conscient des facteurs géopolitiques qui pèsent sur ce pays enclavé dans un environnement hostile, situé entre deux lions: le lion de Juda et le lion de Syrie.

Damas dispose de redoutables leviers au Liban, et nul ne pourra s'opposer à ses volontés. La Syrie a opté pour le contrôle direct du pays du Cèdre en lui arrachant des accords léonins, en 1991, au lieu de jeter les bases d'une coopération bilatérale respectant les intérêts fondamentaux des deux partenaires. Elle dispose d'instruments dans l'ensemble des communautés et des régions. En plus, elle détient une clé principale des relations israélo-libanaises et de la stabilité régionale à travers le Hezbollah, qui ne peut opérer sans un feu vert de Damas. Ce mouvement chiite, qui a entamé sa mue en intégrant la vie publique, pourrait lui servir, au besoin, d'épouvantail à l'encontre de la communauté chrétienne.

Ces attentes sont si nombreuses que la tâche du général Lahoud est loin d'être facile. Il sera jugé sur sa capacité de restaurer l'identité libanaise, rétablir l'Etat de droit et reconquérir l'indépendance et la souveraineté bafouées par ses deux voisins. Le rêve du changement est plus fort que jamais. Saura-t-il l'incarner et le réaliser ?

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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