09/11/1999 Texte

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Jordanie : un héritage périlleux

Un pays pauvre - Une population composée de 60 % de Palestiniens Des voisins dangereux : Syrie, Irak, Israël

Il va falloir beaucoup de talent, d'imagination et de baraka au futur roi de Jordanie, Abdallah Ibn Hussein, pour assumer le lourd héritage légué par son père. Son royaume est loin d'être gâté par la géographie. Il est situé à un rude croisement de courants contradictoires, guetté par tous les dangers, et son sous-sol ne regorge d'aucune ressource : ni eau ni hydrocarbures. Le roi Hussein a perdu Jérusalem-Est en 1967, la troisième ville sacrée pour les musulmans. Il en a toujours ressenti une énorme blessure. Abdallah devra bien s'accrocher à Amman et stopper la série noire des Hachémites, qui s'est soldée par la perte de La Mecque, de Damas, de Bagdad et de Jérusalem, au cours du XXe siècle.

Abdallah maîtrise une partie des éléments indispensables pour asseoir son règne : la loyauté d'une armée, composée quasi exclusivement de Jordaniens de souche, dont il est lui-même issu, et le resserrement des Hachémites autour de sa personne. Il est possible que le prince Hassan exprime sa déception en choisissant l'exil. Son départ priverait le nouveau roi de son expérience diplomatique et de sa connaissance des dossiers économiques, domaines auxquels Abdallah ne s'est jamais frotté.

Les dangers intérieurs

A l'échelle des risques auxquels le règne d'Abdallah sera confronté, il convient de placer la stabilité intérieure en premier lieu. En effet, la composante palestinienne du royaume, estimée à plus de 60 % de la population et qui contrôle l'économie, manifeste sa mauvaise humeur. Elle est quasiment exclue de la fonction publique et des recrutements de l'armée. Elle estime qu'elle paie des impôts, dont 60 % sont reversés en salaires et retraites aux Jordaniens de la fonction publique et des forces armées.

Traversée par le courant islamiste du Hamas, elle est hostile à l'accord de paix de Wadi Araba, conclu avec Israël en 1994. Elle reproche au roi sa « stratégie de paix non récompensée par l'Etat hébreu ». Mais cette composante du peuple reconnaît la monarchie, d'autant plus qu'elle se sent représentée par la future reine Rania, issue d'une famille palestinienne de Toulekarem, en Cisjordanie.

Le facteur démographique est mis en avant par certains partis de la droite israélienne pour pousser à « la création de l'Etat palestinien en Jordanie », sur les décombres de la monarchie hachémite. Cet objectif a failli se réaliser en 1970, quand les fedayins de Yasser Arafat étaient sur le point de prendre le pouvoir à Amman. La tâche d'Abdallah ne sera pas facile.

L'autre danger intérieur qui guette le roi est lié à un appauvrissement croissant de la population. Les émeutes de la faim de Ma'an, en 1996, un fief traditionnel de la monarchie, qui ont impliqué les retraités de l'armée, en témoignent. Cela illustre le manque de ressources propres d'un Etat qui a subi des vagues successives de réfugiés (palestiniens, irakiens et jordano-palestiniens chassés du Golfe en 1990) ainsi que l'absence de soutien financier suffisant pour assurer la stabilité d'un pays surendetté (7 milliards de dollars). Le chômage touche le tiers de la population. Le quart des Jordaniens vit sous le seuil de pauvreté.

Cette double fragilité pourrait s'aggraver si la coalition Likoud était reconduite en Israël, lors des élections de mai prochain, alors qu'elle a stoppé le processus de paix, mettant en difficulté les partenaires arabes qui ont opté pour la paix.

Les dangers extérieurs

Aussi elle pourrait être exploitée par des voisins qui, tout au long de leur existence, ont tenté de déstabiliser le royaume. La Syrie avait, à maintes reprises, toléré ou organisé des actions subversives contre son voisin, considéré par le parti Baas, au pouvoir à Damas, comme un « fidèle serviteur des intérêts américains ». En 1958, deux Mig syriens avaient attaqué et raté l'avion civil que pilotait le roi. Depuis les années 80, chacun des deux Etats héberge l'opposition de l'autre. La Syrie encourage les dix organisations palestiniennes hostiles au processus d'Oslo, basées à Damas, de mener des actions militaires contre les intérêts israéliens en Jordanie.

Le voisinage de l'Irak n'est pas plus serein. Après le soutien jordanien à Badgad en 1990 qui a sans doute évité au royaume le spectre d'une guerre civile, tellement la population appuyait l'Irak , la Jordanie a retrouvé progressivement le camp occidental, hébergeant même dans un palais les gendres de Saddam, après leur trahison, au risque d'encourir de violentes représailles.

La population du royaume, ainsi que plusieurs intellectuels, demeure solidaire des souffrances du peuple irakien et reste fondamentalement hostile à la politique israélo-américaine.

Saddam accusait Hussein de « comploter » avec les Américains. Il dispose de moyens de rétorsion, par exemple un arrêt de la livraison à la Jordanie des 100 000 barils-jour, cédés à un prix très avantageux, qui a allégé la facture énergétique jordanienne d'environ 450 millions de dollars l'an dernier. Sans oublier les moyens subversifs auxquels pourrait recourir le régime du Baas irakien, en instrumentalisant quelques-uns des 100 000 réfugiés irakiens tolérés par la Jordanie.

Il est évident que la moindre ingérence en Jordanie de l'un de ces quatre acteurs régionaux provoquerait et justifierait les appétits des trois autres acteurs, au nom de la défense de leurs propres intérêts. La communauté internationale doit y veiller. C'est dire les difficultés qui attendent Abdallah pour assumer les charges du trône. D'autant plus qu'il manque d'expérience en matière de relations régionales, internationales et économiques. Il hérite d'un royaume dont la fragilité était compensée par la stature, l'habileté et le charisme de son père. Pour réussir sa périlleuse mission et faire face à ses difficultés intérieures et à un voisinage terriblement dangereux, un soutien ferme de l'Occident lui sera indispensable.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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