26/05/1995 Texte

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La France, contrepoids du Moyen-Orient

Trois raisons expliquent l'accueil favorable dont a bénéficié le président Chirac dans les pays arabes, y compris auprès des frères ennemis irakiens et koweïtiens : la nostalgie de la politique du général de Gaule, les relations personnelles avec les dirigeants nouées par l'ancien maire de Paris au fil des ans et le rejet par l'opinion publique arabe de l'alignement américain sur les positions israéliennes, comportement qui s'aggrave en période préélectorale.

La soif de retrouver la France au Levant est principalement due à la déception arabe de voir une politique américaine cautionner systématiquement celle d'Israël et parfois engager des surenchères, telle l'initiative de Robert Dole visant à transférer l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. La politique américaine est jugée discriminatoire à l'égard des droits palestiniens et léonine à l'encontre de Bagdad, alors que le vide laissé par l'effondrement de l'ex-URSS n'a pu être comblé par la Russie.

C'est pourquoi les Arabes considèrent souvent Paris comme un recours, tout en sachant que la France et les Etats-Unis évoluent dans des divisions différentes et ne disposent ni des mêmes leviers, ni des mêmes moyens pour peser sur la marche de la paix israélo-arabe.

D'où, une certaine ambiguïté dans la démarche arabe. Selon l'expression d'un dirigeant averti, la France est désirée comme amant, alors que les Etats-Unis sont convoités pour être l'épouse légitime. Le cas le plus illustre fut celui d'Arafat qui, depuis 1974, a bénéficié d'un soutien sans faille de la France entraînant, derrière elle, l'ensemble de l'Europe. Néanmoins, sur la route de Washington pour signer la déclaration de principes en septembre 1993, Arafat ne s'est pas arrêté à Paris pour marquer sa reconnaissance.

La fin de la cohabitation doit permettre la révision et la rénovation de la diplomatie française en Afrique du Nord et au Levant, pour faire face à plusieurs types de situation:

1) Une menace sécuritaire avec la crise algérienne, où l'évolution du conflit pourrait affecter plusieurs pays arabes ainsi que la France.

2) Un défi économico-humanitaire avec le maintien de l'embargo sur l'Irak, le pays le plus prometteur dans le Golfe, où les entreprises françaises ont un marché traditionnel, et qui échappe encore à la mainmise américaine.

3) Le pari de contribuer au développement économique, lequel ouvre la voie à l'expérience démocratique. Le développement est en effet indispensable à l'épanouissement et à la prospérité des sociétés arabes. Il garantit la paix civile et constitue le meilleur barrage à l'émigration.

4) Une question morale au Liban, où tant de liens ont été tissés avec la France à travers l'histoire et la culture. Paris devrait y retrouver sa place, confisquée par une domination syrienne bénie par Washington et Tel-Aviv.

5) La percée de l'islamisme. En effet, l'intégrisme est aujourd'hui la donnée fondamentale et commune à toutes les sociétés arabes, indépendamment de la situation économique et sociale de chaque pays. Car on le retrouve aussi bien en Arabe qu'en Egypte. La poussée de ce courant s'explique par une crise identitaire, par un complexe d'infériorité à l'égard de l'Occident et par l'échec des expériences post-coloniales.

De plus, sous les effets conjugués de l'alignement sur Washington et de l'usure de pouvoirs souvent corrompus qui n'autorisent pas l'alternance pacifique, les gouvernements arabes perdent leur audience et leur crédibilité intérieures. Il est évident que, dans la majorité des pays arabes ­ où les élites accèdent au pouvoir au profit d'un coup de force et s'y maintiennent jusqu'au suivant ­, des élections libres entraîneraient la victoire des islamistes.

6) La paix israélo-arabe, menacée par le comportement souvent dominateur de l'Etat hébreu, comme on vient de le voir dans la récente confiscation avortée de 53 hectares dans la partie arabe de Jérusalem. Il n'est pas dans l'intérêt d'Israël d'afficher une suprématie méprisante à l'encontre de ses voisins arabes avec lesquels il veut faire la paix. Cette aspiration à la paix et à la sécurité exige une pédagogie: arrêter de cultiver la haine de part et d'autre, pour construire la confiance au quotidien. Or, Tel-Aviv veut entretenir des capacités nucléaires et balistiques tout en les interdisant aux Arabes. Ce faisant, il blesse leur amour-propre.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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