26/10/2006 Texte

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Le Liban est devenu l'otage privilégié du conflit entre l'Iran et ses adversaires

L'obstacle central à la paix au Liban reste le désarmement du Hezbollah, qui n'a pu et ne pourra s'obtenir par une renonciation volontaire, et la prochaine bataille peut surgir à l'occasion d'une confrontation avec l'Iran dans le Golfe.

L'envoi de troupes européennes au chevet du Liban pour conforter la Finul-II constitue une réelle manifestation d'amitié, un pari sur un «avenir» pour le Pays du Cèdre et une contribution à la consolidation de la trêve. La question que l'on peut légitimement poser est: quand et dans quelles conditions ces forces seront un jour rapatriées? Une fois leur «mission accomplie» ou en constatant que leur «mission est impossible» et que le mandat de la Finul renforcée et ses moyens ne répondent pas aux défis ?

Comparé à la mission multinationale de 1982 - à laquelle le double attentat d'octobre 1983 mit brutalement fin - l'environnement régional n'est guère encourageant. Le régime alaouite de Syrie est toujours là, plus déterminé que jamais à sauver sa dictature héréditaire; l'Iran a accédé au rang de puissance régionale, dopée par l'enlisement américain en Irak et en Afghanistan, par le discrédit de l'administration Bush, par la tension sur le prix du brut, par la disparition du verrou irakien; le Hezbollah a consolidé ses acquis, réussi son coup d'Etat du 12 juillet et est devenu une puissance militaire auréolée par son «succès» face à Israël, imputé à la «volonté divine».

Deux facteurs ont toutefois changé: la disparition de l'URSS, à l'issue de la guerre froide; et l'engagement dans la Finul de Puissances qui s'impliquent pour la première fois au Liban: la Chine, la Russie, l'Allemagne, la Turquie...

Les pôles de la contestation régionale sont désormais incarnés par les deux radicalismes islamistes: les sunnites représentés par Ben Laden et les chiites par l'Iran et le Hezbollah. Ils s'engagent dans une rivalité - payante sur le plan populaire - qui instrumente l'injustice faite aux Palestiniens pour se légitimer. Bien que n'ayant pas de frontières communes avec Israël, l'Iran veut s'imposer comme l'Etat soucieux des droits palestiniens alors que les régimes arabes les auraient «trahis».

Outre les menaces communes à toutes les unités de la Finul, le contingent français encourt des risques spécifiques: des représailles syriennes pour le rôle majeur joué par le président Chirac dans la restauration du Liban et pour son franc soutien à la constitution d'un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri. De son côté, l'Iran peut exercer un chantage contre la France à travers son contingent de la Finul. Et ce, au moment où Téhéran est menacé de sanctions internationales pour la poursuite de l'enrichissement d'uranium.

La résolution 1701 ne résout aucun des problèmes soulevés par la guerre des 33 jours.

Outre le désarmement du Parti de Dieu et la définition sans ambiguïté des termes d'engagement, un élément majeur manque à l'appel: le stationnement immédiat et formel de la Finul sur la frontière syrienne, dans les ports et aéroports libanais pour empêcher l'arrivée de nouvelles armes. D'ailleurs, comment se fait-il que le Hezbollah dispose après le conflit de plus de 20000 missiles, selon les dires de son secrétaire général au meeting de la «victoire divine» du 22 septembre, alors qu'il ne revendiquait que 12000 roquettes avant guerre ?

L'absence de toute volonté de Damas et de Téhéran de neutraliser le «front de substitution» libanais inquiète. Bien au contraire, ils voudraient instaurer une guerre d'usure avec Israël, en versant le sang des Libanais, et prolonger le régime collaborationniste du président Lahoud, dont le terme approche.

Pourtant, le Liban n'a plus de contentieux territorial avec Israël - les fermes de Chébaa ont été arrachées à la Syrie (et non au Liban) en 1967 - et le Hezbollah, comme ses parrains, ont sciemment repoussé l'échange des derniers prisonniers libanais contre le pilote israélien Ron Arad pour pouvoir justifier les combats à venir. Demain, ils soulèveront la question de Jérusalem, du Golan, des réfugiés palestiniens... pour sauvegarder le statut particulier du Hezbollah et entretenir la guerre.

Dans sa lettre et son esprit, la résolution 1701 crée les conditions de mettre Israël à l'abri des roquettes de courte et moyenne portée. Mais tant que le Hezbollah ne désarme pas, il pourra toujours se servir de ses missiles, de longue portée.

Plus que jamais, la question du statut du Hezbollah est solennellement posée au Liban. De très nombreuses voix réclament son désarmement pour qu'il ne puisse plus rester une «légion» aux ordres de l'étranger qui décide de la guerre et de la paix. Des mollahs et des intellectuels chiites ont osé contester la conduite du Hezbollah qui cherche à satelliser l'Etat libanais, à imposer les valeurs - non partagées - du Djihad et à intimider les dirigeants politiques. Les retombées régionales de ce conflit sont multiples. La dissuasion israélienne a été fortement malmenée: la défaillance du renseignement et l'inadaptation de sa doctrine militaire à la nouvelle menace ont surpris. Israël n'a pas su évaluer le nouveau risque, ni l'anticiper. Le Hezbollah a su si bien cultiver le secret. Israël a été dans l'incapacité d'éliminer la direction du Hezbollah et de neutraliser ses bases, ses dépôts de munitions, ses centres de commandement enterrés. Israël ignorait tout de sa détention de missiles sol-mer qui ont touché deux de ses bâtiments de guerre. Les médias du Hezbollah n'ont jamais cessé d'émettre... En dépit des frappes dévastatrices de l'armée de l'air, Israël n'a pu progresser sur terre, ni réaliser ses buts de guerre pendant quatre semaines, subissant des pertes conséquentes. Pourtant, Israël avait promis à ses alliés que le Parti de Dieu sera anéanti en cinq jours.

A l'exception notoire du «croissant chiite» irano-syrien, les pays arabes sunnites et les grandes puissances sont favorables à la démilitarisation du Hezbollah. Mais Damas et Téhéran ne veulent perdre à aucun prix leur précieux levier. Les régimes sunnites ont implicitement soutenu l'offensive israélienne et n'ont volé qu'au secours du gouvernement Siniora pour le conforter face au Hezbollah.

Par ailleurs, ce conflit a suscité de très fortes sympathies pour le Parti de Dieu chez les populations arabes frustrées par la corruption de leurs régimes et leur alliance avec les Etats-Unis, amis d'Israël. Le Hezbollah apparaît comme la seule organisation qui a réussi à tenir tête à Israël. Mais à quel prix ?

Au Liban, l'obstacle central à la paix reste le désarmement du Hezbollah. Car il ne peut y avoir un Etat qui cohabite avec une «légion» obéissant aux ordres de l'étranger. La démilitarisation n'a pu être obtenue au terme de l'accord de Taëf, ni des résolutions du Conseil de sécurité, ni par le dialogue interlibanais, ni par l'armée israélienne. Elle ne sera pas volontaire. Tout laisse croire que le Liban vit dans l'attente du prochain cyclone régional.

Fort de sa nouvelle aura, le Hezbollah est tenté de transformer l'essai. Israël, qui voulait corriger son image après son éviction du Liban en mai 2000 et rétablir sa dissuasion, a subi un important revers. Les deux belligérants se préparent à la prochaine bataille, qui peut surgir à l'occasion d'une éventuelle confrontation avec l'Iran dans le Golfe... Le Liban est devenu l'otage privilégié du conflit entre l'Iran et ses adversaires. Et tant que le régime syrien maintient son rôle destructeur au Liban et sert de relais à la stratégie iranienne, le Liban ne connaîtra jamais la stabilité.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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