23/07/2024 Texte

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Tunisie : Kaïs Saïed s'est assuré d'avoir la voie libre pour un second mandat

Le président tunisien a annoncé sa candidature pour l'élection présidentielle du 6 octobre, alors que ses principaux rivaux sont emprisonnés les uns après les autres. Son mandat a été marqué par un virage autoritaire doublé de graves difficultés économiques et financières.

Qui pouvait en douter ? Kaïs Saïed ambitionne d'occuper quelques années encore le palais de Carthage. Le président tunisien a annoncé son intention de briguer un second mandat : « J'annonce officiellement ma candidature à l'élection présidentielle du 6 octobre prochain pour poursuivre le combat dans la bataille de libération nationale », y affirme-t-il dans une vidéo diffusée vendredi et retranscrite dans des médias tunisiens.

Le dirigeant, qui a imposé un virage populiste et autoritaire à la jeune démocratie issue du Printemps arabe, assure « ne pas avoir d'autre choix » et répondre à « l'appel sacré de la patrie ». Lui qui a mené la guerre aux partis politiques qu'il accuse de corruption et magouilles ajoute aussitôt : « J'appelle tous ceux qui s'apprêtent à parrainer [des candidats] à faire attention à toute sorte de malversation. Certains sont démasqués et d'autres le seront bientôt. Je les appelle aussi à n'accepter aucun millime [millième de dinar tunisien, NDLR] de la part de personne. S'ils le font, je ne leur pardonnerai jamais […]. »

Illustre inconnu venu du monde académique (il était assistant d'un professeur de droit constitutionnel), Kaïs Saïed a été élu en 2019 avec pour seul programme de reprendre le pouvoir aux partis politiques - en particulier le parti islamiste Ennahda - qui ont paralysé la Tunisie pendant la décennie qui a suivi la révolution de 2011.

Opposants en prison

Les principales figures de l'opposition qui pourraient aujourd'hui vouloir briguer la présidence sont poursuivies en justice ou en prison, accusées de « complot contre la sûreté de l'Etat » ou d'« apologie du terrorisme ». Le chef du parti islamo-conservateur Ennahdha, Rached Ghannouchi, et la présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi sont ainsi derrière les barreaux depuis le printemps 2023.

La semaine dernière, l'ancien secrétaire général du parti Attayar (social démocrate), Ghazi Chaouachi, lui aussi en prison, a déclaré sa candidature, tout en annonçant des plaintes contre l'instance électorale qui refuse de lui fournir ces formulaires. De son côté, le parti centriste Al-Joumhouri retirait la candidature de son chef Issam Chebbi, également emprisonné, faute d'avoir pu obtenir les formulaires de parrainages. Le même jour, Lotfi Mraihi, chef de l'Union populaire républicaine, un parti de gauche, et candidat déclaré à la présidentielle, a été condamné jeudi à huit mois de prison et à une inéligibilité à vie.

Amnesty International a dénoncé le « durcissement de la répression contre l'opposition » après l'arrestation, il y a dix jours, du secrétaire général d'Ennahda, Ajmi Lourimi, et de deux membres du parti. « Arrestations arbitraires de journalistes, d'avocat·e·s, de militant·e·s et de responsables politiques, mais aussi sape systématique de l'indépendance de la justice », dénonce l'ONG, qui estime que « la situation des droits humains dans le pays continue de se dégrader ».

Pénuries et inflation

« Kaïs Saïed est fort en populisme : il a réussi à faire croire aux Tunisiens que tous les problèmes du pays venaient de l'argent confisqué par les politiques pendant une décennie. Mais ce discours ne fonctionne plus aussi bien. Il y a une prise de conscience dans la population d'un retour à la dictature », explique Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes et associé de Forward Global.

A ceci près que l'économie tunisienne n'est plus celle des années 2000 et que le quotidien des habitants est affecté par les graves difficultés financières du pays : un déficit budgétaire qui tourne autour de 7 % du PIB, une dette qui s'est creusée à 80 % du PIB l'an dernier, tandis que la croissance annuelle est estimée à moins de 1 % et que le taux de chômage stagne à 16 %. « Sous Ben Ali, les produits de première nécessité étaient disponibles, bon marché, alors que le pays connaît aujourd'hui des pénuries et de l'inflation [attendue à 9 % en 2024, NDLR]. Il n'y avait pas de liberté mais les gens avaient un travail », souligne Antoine Basbous.

Conséquence, « une fois l'élection passée, Kaïs Saïed va sûrement aller chercher de l'argent auprès de tous les partenaires possibles », poursuit-il. « Peut-être appliquer les réformes exigées par le FMI en échange d'un prêt de 1,9 milliard de dollars, ce qui entraînera les dons d'autres partenaires comme les pays du Golfe et l'Europe, qui lui maintiennent déjà la tête hors de l'eau malgré les tensions. Il se tournera aussi vers l'Iran, la Chine et la Russie, des dictatures qui sont davantage le modèle du président tunisien », prévoit l'expert.

Sophie Amsili - Les Echos

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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