11/07/2024 Texte

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L'alliance militaire entre Israël et le Maroc se renforce malgré la guerre à Gaza

Israël a conclu un accord avec le Maroc pour la livraison de deux satellites espions. Ce contrat traduit l'intensification de la coopération militaire entre les deux pays, en dépit de la guerre dans la bande de Gaza.

Israël commence à recueillir les dividendes de la paix en pleine guerre dans la bande de Gaza. Israel Aerospace Industries (IAI), le plus important groupe d'armement israélien, vient de conclure un accord pour la livraison d'ici à cinq ans de deux satellites « d'observation » de type Ofek 13 (Horizon en hébreu) au Maroc. Avec un montant d'un milliard de dollars, il s'agit du plus gros contrat entre les deux pays depuis les accords d'Abraham conclus fin 2020, qui ont permis une normalisation des relations entre l'Etat hébreu entre les Emirats, Bahreïn et le Maroc.

Les satellites israéliens vont remplacer ceux produits par Airbus actuellement en activité. Ce marché échappe ainsi au consortium européen. La censure militaire israélienne n'a pas permis de confirmer officiellement la transaction pour tenter, sans doute, d'éviter des protestations d'une partie de l'opinion publique marocaine très remontée contre Israël depuis le déclenchement de la guerre contre le Hamas, à la suite des massacres commis par ce dernier le 7 octobre.

Mais l'existence de ce contrat ne fait aucun doute. Les médias israéliens ont contourné l'obstacle en citant des sources étrangères et en révélant qu'Amir Peretz, le patron d'IAI s'est rendu discrètement ces derniers jours au Maroc. Autre indice : le groupe a informé la Bourse de Tel Aviv de la conclusion d'un accord d'un milliard de dollars, en omettant seulement de préciser le nom de l'acquéreur.

Troisième fournisseur de matériel militaire

Cet accord ne tombe pas du ciel. Il s'inscrit dans un processus de rapprochement entre les deux pays. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Israël est devenu ces dernières années le troisième fournisseur de matériel militaire du Maroc avec 11 % de parts sur ce marché. En 2022, IAI avait déjà fourni plusieurs systèmes de défense aérienne de types Barak pour un montant de 540 millions de dollars. La grande majorité du matériel a déjà été livrée à l'armée marocaine. L'Etat hébreu aurait également vendu des drones de type Heron.

Cette lune de miel s'est également traduite concrètement le mois dernier. Une barge de débarquement que l'armée israélienne avait commandée aux Etats-Unis pour des transports de troupes et de matériel militaire a été autorisée à faire escale à Tanger pour s'approvisionner en carburant et nourriture. A l'inverse, l'Espagne très critique envers la guerre menée dans la bande de Gaza, avait, quelques jours plus tôt, interdit à un bateau battant pavillon danois et transportant 27 tonnes d'explosif en provenance d'Inde destiné à Israël de faire escale dans un de ses ports.

Manifestations

L'escale à Tanger avait donné lieu à une nouvelle manifestation de milliers de Marocains en soutien à Gaza, comme il y en a eu régulièrement dans les rues des grandes villes marocaines depuis le 7 octobre. Les manifestants, emmenés par des partis de gauche et des mouvements islamistes, appellent à un gel de la coopération avec Israël, voire un retour arrière dans la normalisation des relations entre les deux pays. Un sondage réalisé par le centre de recherche Arab Barometer début juin montrait également que seuls 13 % des Marocains soutiennent la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes, contre 31 % en 2022.

« Avec l'enlisement du conflit, les Marocains ne peuvent plus ignorer les images qui viennent de Gaza, l'opinion décroche », explique Antoine Basbous, associé de Forward Global et directeur de l'Observatoire des pays arabes. « Certains chefs politiques disent qu'il faut arrêter le rapprochement avec Israël, comme l'ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane, membre du PJD qui gouvernait le Maroc lorsque le royaume a signé les accords d'Abraham. »

Mais pour Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), ces manifestations sont loin d'atteindre leur but : « Elles ont été autorisées car elles constituent une soupape pour laisser la population s'exprimer sans que cela gêne le pouvoir marocain. Ce dernier a fait de la question de la normalisation avec Israël une question existentielle en la liant à la sécurité du royaume : dans le contexte notamment de l'influence grandissante de la Russie dans la région, il affirme qu'Israël serait le seul pays à pouvoir lui apporter un parapluie sécuritaire. »

Revanche

Histoire de consolider cette relation privilégiée avec le Maroc, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a fait un geste essentiel l'an dernier en reconnaissant officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental au grand dam du Front Polisario, qui exige l'indépendance de cette région avec le soutien de l'Algérie.

La vente des deux satellites israéliens a, par ailleurs, un arrière-goût de revanche vis-à-vis des groupes d'armement français, estime le quotidien économique israélien « Globes », qui rappelle que la France a annulé la participation des entreprises israéliennes au dernier Salon de l'armement Eurosatory.

« On peut supposer que cette sanction prise officiellement à propos de la guerre à Gaza a également obéi à des considérations politiques et commerciales contre la concurrence des entreprises israéliennes qui ont l'avantage d'avoir fait leurs preuves sur le terrain », a ajouté le journal. Il faisait ainsi notamment allusion à un contrat record de 3,5 milliards de dollars conclu par IAI l'an dernier avec l'Allemagne pour la fourniture de systèmes de défense anti-missiles israéliens de type Arrow 3, auquel la France s'était opposée en proposant une coopération européenne pour développer ce genre d'équipement.

Pascal Brunel (à Tel Aviv) et Sophie Amsili

Les Echos

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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