03/08/2006 Texte

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« Le Hezbollah peut réussir son coup d'Etat »

Quel bénéfice politique le Hezbollah peut-il espérer s'il continue à résister militairement et à « exploiter » à son avantage les pertes civiles imputables à Israël ?

La situation peut facilement se retourner au profit du Hezbollah. Au départ, la Ligue arabe avait refusé d'organiser un sommet destiné à le soutenir, et des pays comme l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Jordanie avaient critiqué son « aventurisme », ce qui était une première. Maintenant, le conflit débouche sur une autre conjoncture en raison à la fois du drame de Cana, du fait que l'opinion publique internationale n'aime pas voir des exodes, des destructions massives d'infrastructures civiles, et à cause d'incroyables défaillances de l'armée israélienne en matière de renseignements. Israël ne savait finalement pas où se trouvaient les QG de substitution du Hezbollah, ignorait la majorité de ses rampes de lancement, a donné l'impression de découvrir que son ennemi disposait du missile C 802 qui a permis de frapper une corvette il y a deux semaines, qu'il n'a pas réussi à faire taire sa télévision, etc. Initialement, le G8, le Conseil de sécurité, les pays arabes étaient d'accord pour laisser à Israël le temps de faire le travail que les accords de Taëf ou la résolution 1559 de l'ONU n'avaient pas pu mener à bien, à savoir le désarmement du Hezbollah. Rien ne s'est passé comme prévu. A présent, la perspective de l'établissement d'un Etat de droit souverain au Liban s'éloigne. Le Liban est aujourd'hui le théâtre privilégié du conflit irano-américain sur le nucléaire, avec pour principal acteur la « Légion » du Hezbollah. Le pays est économiquement terrassé et le moral légendaire des Libanais est très atteint. Le « coup d'Etat » du Hezbollah a beaucoup de chances de réussir.

Cette hostilité des capitales arabes au Hezbollah est une surprise pour l'opinion occidentale. Vous défendez pourtant habituellement la thèse selon laquelle l'Arabie saoudite finance les djihadistes partout dans le monde...

Seulement s'ils sont sunnites. Or le Hezbollah est chiite. Les pays arabes, Riyad en tête, sont très inquiets des ambitions de l'Iran. Mahmoud Ahmadinejad, l'actuel président iranien, manipule et agite les minorités chiites dans les pays arabes et tient un discours anti- israélien si radical qu'il séduit même les sunnites pour les dresser contre leurs gouvernements, coupables d'être des amis de Washington. L'Iran finance le Hezbollah à hauteur de 500 à 800 millions de dollars par an, lui transmet via la Syrie les armes, les missiles, les drones qui lui permettent de tenir tête à Tsahal. On voit là l'instauration d'un croissant chiite, Iran-Syrie-Hezbollah (avec une excroissance sunnite à travers le Hamas palestinien), qui passe aussi par l'Irak, pays majoritairement chiite et où la plupart des dirigeants actuels ont séjourné vingt-trois ans en exil à Téhéran et sont très liés au régime iranien.

Mais ces dirigeants irakiens doivent leur sécurité aux ennemis de Téhéran, les Américains !

Ce n'est pas un obstacle. Le double jeu n'est pas interdit. Il y a plusieurs clans au pouvoir à Téhéran, et chacun a sa propre filiale en Irak, à la fois au pouvoir et dans la rébellion.

L'une des clefs du conflit se trouve en Syrie, qui est l'autre parrain du Hezbollah. Peut-on imaginer que Damas ait l'intelligence de plier, comme Kadhafi a su le faire pour son plus grand profit il y a deux ans ?

Le régime syrien vit en entretenant le chaos autour de lui. C'est sa raison d'être et son meilleur bouclier pour éviter d'avoir à rendre des comptes à sa propre population, pour éviter de lâcher du lest, de libéraliser. Le régime, qui a perdu l'an dernier la manne de 4 milliards de dollars par an qu'il tirait de son occupation du Liban, ne peut exister que dans un environnement tordu, à l'abri d'idéologies factices. Damas table sur le départ prochain de Jacques Chirac, de George Bush, sur l'échec du projet américain en Irak. Son calcul peut être payant, regardez déjà la commission d'enquête sur le meurtre l'an dernier du Premier ministre libanais Rafic Hariri, qui aurait pu établir les responsabilités syriennes : elle a dû se replier sur Chypre. La perspective de créer le Tribunal international pour juger les coupables dans l'assassinat de Hariri s'éloigne.

Qu'est-ce qui, aujourd'hui, vous permettrait d'espérer un retour à l'équilibre du Liban ?

Rien.

Propos recueillis par Yves Bourdillon

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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