27/09/2001 Texte

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Attentats aux Etats-Unis / Golfe / Le pas de deux saoudiens

En dépit de son soutien aux Américains, la monarchie de Riyad masque mal ses divisions et sa fragilité

En apparence, le vieil allié saoudien tient son rang sans états d'âme. Riyad a rompu, le 25 septembre, ses relations avec le régime des taliban. «L'Arabie, annonce le roi Fahd, est disposée à coopérer avec les Etats-Unis contre le terrorisme.» Le 19 septembre, son ministre des Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal, déboulait à Washington pour proclamer cet engagement. Assorti d'une discrète mise en garde: évitons de creuser entre l'islam et l'Occident un «fossé infranchissable». De même, à l'approche du châtiment américain, Riyad soumet son aval à quelques préalables. La coalition doit épargner la Syrie et les islamistes palestiniens; elle doit aussi, bien entendu, tenir Israël à l'écart. Ces nuances ne menacent pas le pacte qui unit l'Oncle Sam à la monarchie. L'Amérique a besoin du pétrole saoudien. Quant au royaume, il ne peut se passer du bouclier militaire de l'US Army. Reste que les serments de loyauté masquent mal un ressentiment chronique, reflet des tiraillements internes et des faiblesses d'un pouvoir vulnérable. «Celui-ci navigue entre l'impératif de sécurité et les élans de sa base sociale, souligne Antoine Basbous (1), directeur de l'Observatoire des pays arabes. Car tout repose sur deux piliers: la dynastie Saoud et le wahhabisme.»

Vigoureuses réticences

Cette école théologique sunnite professe un islam rigoriste, adossé à une lecture littérale du Coran, fermé à tout essai d'interprétation des textes. Et farouchement hostile à l'intrusion des «kafirs» - les infidèles, chrétiens et juifs - sur la terre sacrée du Prophète. C'est dire combien le débarquement, en 1990, au lendemain de l'invasion du Koweït par l'Irak, de 500 000 soldats américains ébranla les fondements de la monarchie, gardienne des lieux saints de La Mecque et de Médine. Dignitaire vénéré, le grand mufti Abdel Aziz bin Baz avait alors émis un décret religieux légitimant l'appel aux impies. A l'époque, un certain Oussama ben Laden, héritier d'une dynastie de bâtisseurs très en cour, vint dénoncer au palais, avec feu mais en vain, une telle profanation. Cette fois, point de fatwa.

Riyad rechigne même à laisser Washington utiliser un centre de commandement situé sur une base militaire américaine. «La famille royale, relève Antoine Basbous, mesure la vigueur des réticences, y compris chez les oulémas - docteurs de la loi - à la botte.» On s'en tiendra donc aux communiqués du successeur du défunt Bin Baz, condamnant les carnages du 11 septembre, «crimes majeurs contraires à la loi coranique». Pas de quoi réduire la fracture entre la caste des «oulémas du trône», caution docile des Saoud, et celle des puristes... Vains réquisitoires contre les princes «corrompus», prédicateurs dissidents réduits au silence: étouffée, la rébellion prit, dans le sillage de la «Tempête du désert», une tournure clandestine et violente. Pour preuve, les attaques terroristes perpétrées en 1995 contre la Garde nationale de Riyad, puis, l'année suivante, au cœur de la base américaine d'al-Khobar (à l'est du pays), fatales à 24 hôtes en treillis. L'ombre de Ben Laden, déchu de sa nationalité en 1994, plane déjà sur ces tueries. Réfugié au Soudan, puis en Afghanistan, le banni maintient au pays de précieux contacts. Il peut miser sur les fonds collectés par un réseau de fondations «caritatives» (lire l'article "L'argent de Ben Laden"), comme sur les amitiés nouées au sein du sérail.

Notamment avec le prince Turki al-Fayçal, patron des services de renseignement depuis 1977 et avocat des taliban. Las, les liens du sang n'y suffiront pas: le 31 août dernier, ce frère du roi sera limogé, payant, semble-t-il, l'échec des tentatives entreprises pour amadouer son ancien protégé, puis obtenir de Kaboul une extradition. Auréolé des exploits, réels ou fictifs, accomplis au temps du jihad antisoviétique, admiré pour son intransigeance, Ben Laden saura susciter des vocations, de son exil. Onze Saoudiens figurent sur la liste des kamikazes établie par le FBI. Même si quatre d'entre eux, promptement disculpés, doivent leur infortune à des confusions d'identité. Lesquelles ont le don d'irriter Riyad. La décennie écoulée aura d'ailleurs été fertile en griefs. Le royaume tolère mal le parti pris de ses protecteurs en faveur d'Israël. Et il arrive au prince héritier, Abdallah, régent de fait depuis l'attaque cérébrale qui, en 1995, ruina la santé de son demi-frère Fahd, de s'en indigner sans détour. Il est vrai que ce robuste septuagénaire ne craint pas de désavouer le mentor américain. Jusqu'à décliner, comme ce fut le cas en mai dernier, une invitation de la Maison-Blanche. Mieux, George Bush père devra appeler Abdallah pour apaiser les craintes suscitées par son président de fils.

Rapprochement avec l'Iran

Sur deux autres fronts, le prince, épris de valeurs bédouines, aura affirmé son autonomie: il passe pour l'artisan du rapprochement avec l'Iran et, s'agissant de l'Irak, stigmatise des sanctions qui épargnent Saddam Hussein et accablent son peuple. Autant de postures propres à lui attirer les faveurs de l'opinion. Ses audaces - toutes relatives - en matière de mœurs ont moins d'écho. En 1999, le prétendant au trône entrouvre le chantier du rôle dévolu à la femme. Tollé immédiat des oulémas, qui, en représailles, désertent le majlis, forum consultatif. Vaincu, Abdallah capitule en rase campagne. Reddition oubliée: le moment est venu pour lui de délaisser ses combats et de gagner la guerre des autres.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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