24/03/2023 Texte

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Pourquoi la guerre en Ukraine est une aubaine pour le régime iranien

La guerre en Ukraine a détourné les regards occidentaux de Téhéran, permettant au régime iranien d’accélérer le développement de son programme nucléaire, explique le fondateur et directeur de l’Observatoire des pays arabes.

L’invasion russe de l’Ukraine n’a fait qu’amplifier la complexité des relations entre le Moyen-Orient et les puissances étrangères. Deux facteurs dominants ont marqué la séquence guerrière: la perte par Vladimir Poutine chez les Arabes de son image de «zaïm», stratège froid, invincible, enchaînant les succès et volant au secours de ses protégés, comme Bachar el-Assad en 2015 ; et, en parallèle, le rapprochement encore plus poussé de l’Iran et de la Russie, unis par leur statut de «paria» face à l’Occident et s’associant dans le contournement des sanctions. Ce rapprochement n’est cependant pas une subordination, comme le souligne la signature récente à Pékin d’un accord tripartite avec l’Arabie saoudite, adversaire historique de Téhéran. Mieux que la Russie, l’Iran tire son épingle du jeu de la recomposition stratégique à l’œuvre au Moyen-Orient.

En s’enlisant en Ukraine, le Kremlin a perdu son aura dans un monde arabe jusque-là ravi de trouver en lui une alternative à des Américains perçus comme peu fiables. Certes, la Russie reste un partenaire dans le cadre de l’Opep+, en vue de garder un prix élevé du pétrole, et les Émirats arabes unis ont offert un refuge confortable aux oligarques russes, mais elle s’est révélée être un tigre de papier. Son armement comme sa doctrine militaire ont été si défaillants que Moscou a dû recourir à sa milice Wagner pour prendre la relève. Ce flagrant échec a calmé les «mouches électroniques» de plusieurs régimes arabes qui donnent le ton sur les réseaux sociaux. L’image de l’Occident a, mécaniquement, repris un peu de sa valeur.

Pis, pour les pays du Golfe, la Russie a dû se résoudre à solliciter le soutien de l’Iran, leur principal adversaire. Téhéran a cédé à Moscou drones et missiles en échange de devises, d’avions de chasse et surtout d’un soutien international. Le veto russe au Conseil de sécurité des Nations unies sera précieux pour protéger un régime menacé de l’intérieur.

Confronté à une jeunesse qui cherche à le renverser, le régime iranien veut prendre de vitesse la contestation et acquérir la bombe pour se sanctuariser sur le modèle de la Corée du Nord

En actant le retrait des Américains, certaines monarchies du Golfe ont opté pour une révision de leur gestion du dossier iranien. Satellite arabe de l’Iran perçu comme à même de retenir la main de son maître et de ses proxys comme elle l’avait fait en janvier 2022 en faveur des Émirats, la Syrie profite à plein de cette révision. Le séisme qui a frappé le Levant a en outre fourni l’opportunité pour plusieurs États arabes de reprendre langue avec Assad, au nom de l’urgence humanitaire. Ce faisant, ces derniers rompent dans le même temps frontalement avec Washington et les Européens, qui sanctionnent sévèrement le régime de Damas. L’accord de Pékin pourrait également avoir des retombées sur le reste du «croissant chiite», du Liban en décomposition avancée à l’Irak en pleine hésitation dans sa relation avec les États-Unis. D’ores et déjà, ce «grand revirement» des diplomaties du Golfe témoigne que l’intimidation iranienne de ses voisins a pleinement fonctionné.

Mais le principal fruit de la guerre en Ukraine pour Téhéran a été de détourner les regards occidentaux de sa fuite en avant nucléaire. Confronté à une jeunesse qui, excédée par le poids idéologique que la révolution islamique fait peser sur son présent et son avenir, cherche à le renverser, le régime veut prendre de vitesse la contestation et acquérir la bombe pour se sanctuariser sur le modèle de la Corée du Nord. L’enrichissement de l’uranium s’est ainsi accéléré, à plus de 83 %, ce qui le rapproche de l’objectif militaire. L’Iran développe également son programme balistique à grands pas, tout comme celui de ses drones, qui ont fait leurs preuves dans le Golfe et en Ukraine.

Dans sa course contre son peuple, le régime apparaît en avance. Instruit par le précédent irakien, Téhéran a mis à l’abri son programme nucléaire, enterré et dispersé sur plusieurs sites. Une campagne de destruction massive des installations ne pourra ainsi réussir qu’avec le concours, et les moyens, de l’armée américaine. Or, Washington a d’autres priorités: contenir la Chine et soutenir l’Ukraine face à l’agression russe. Sans compter que Téhéran a prépositionné un dispositif redouté par ses voisins du Golfe, dont les villes et les centres vitaux sont à portée de missiles, et par Israël, dont le territoire est cerné par des milices aux ordres de l’Iran. À lui seul, le Hezbollah représente une sérieuse menace pour l’État hébreu, dont les villes et les centres névralgiques sont exposés à une saturation de missiles et drones de fabrication iranienne.

Arrivé au seuil de la sanctuarisation nucléaire, délégitimé par la contestation et menacé d’effondrement économique - en six mois, le dollar est passé de 300.000 à plus de 600.000 rials -, le régime a su déjouer les menaces extérieures en renouant avec l’Arabie et en impliquant la Chine, dont le Golfe est le premier fournisseur en hydrocarbures. La piste d’une intervention militaire étrangère pour interrompre la marche de l’Iran vers la bombe étant aussi peu probable qu’elle serait très coûteuse et se heurterait à un corsetage international, il ne reste qu’un régime usé et délégitimé, mais qui sait manœuvrer pour assurer sa survie. La mollarchie, qui ne lésine pas sur la répression, garde toutes ses chances de se maintenir.

Le Figaro

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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