06/02/2023 Texte

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« Jamais un pays comme le Liban n’est tombé aussi vite et aussi bas. La priorité est d’élire un président »

Une réunion consacrée au Liban avec des représentants internationaux a lieu ce lundi à Paris. Objectif : inciter la classe politique du pays du Cèdre à organiser une sortie de crise. Et cela passe d’abord par l’élection d’un président de la République, selon le politologue Antoine Basbous.

Selon l’aveu même de la Banque mondiale, le Liban connaît l’une des pires crises économiques au monde depuis 1850 : monnaie dévaluée de près de 90 %, flambée vertigineuse des prix, graves pénuries et paupérisation inédite de la population. Un marasme économique doublé d’une crise politique, illustrée par une vacance du pouvoir depuis que le mandat du président Michel Aoun a expiré le 31 octobre 2022.

Le Fonds monétaire international exige la mise en place de réformes nécessaires pour débloquer une aide indispensable au pays. C’est dans cette optique que des représentants français, américains, saoudiens, qatariens et égyptiens se réunissent ce lundi 6 février à Paris. Avec comme objectif de trouver les moyens d’inciter la classe politique libanaise à organiser une sortie de crise. Pour « l’Obs », le politologue Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des Pays arabes, décrypte la situation.

Dans quelle situation économique se trouve actuellement le Liban ?

Antoine Basbous Un rapport de l’ONU disait qu’en 150 ans, jamais un pays n’est tombé aussi vite et aussi bas sur le plan économique. Aujourd’hui, 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté [contre moins de 30 % avant la crise]. Les membres de la diaspora financent leurs proches encore au Liban, ce qui permet au pays de tenir sur un fil. Mais il n’y a plus de médicaments, y compris dans les hôpitaux publics et privés. Le Liban a contracté toutes les maladies à la fois ! C’est indescriptible comme situation économique, financière et sociale.

Comment se passe la vie quotidienne des Libanais ?

Aujourd’hui, le salaire d’un soldat de l’armée équivaut à 20 dollars par mois. Les professeurs n’ont pas de quoi mettre de l’essence pour aller à leur travail. Le carburant est devenu tellement cher que les gens ne peuvent plus s’offrir un plein. Et il n’y a presque pas de transports en commun. Si les gens veulent télétravailler, ils ne peuvent pas car il n’y a pas d’électricité. Au niveau alimentaire, les prix sur les étiquettes valsent du matin au soir, tellement la chute de la monnaie est vertigineuse.

Les gens qui ont des passeports ou une autre nationalité sont partis ou cherchent à partir. Surtout après l’explosion titanesque au port de Beyrouth en août 2020 et l’enquête judiciaire toujours entravée [dernier rebondissement, fin janvier : le juge indépendant Tarek Bitar, qui a rouvert l’enquête suspendue pendant treize mois en raison d’énormes pressions politiques, a été poursuivi pour « insubordination » en raison de sa détermination à faire toute la lumière sur ce drame qui a fait plus de 215 morts et dévasté des quartiers entiers de la capitale]. Pour les autres, il n’y a plus de passeports depuis six mois car l’Etat n’a plus les moyens de les faire fabriquer ! L’automne dernier, on a découvert des Libanais dans des embarcations coulées en Méditerranée. C’était la première fois que j’en voyais vendre leurs biens, s’endetter, gager leur avenir et celui de leurs parents pour s’enfuir.

Pourquoi les partis politiques n’arrivent pas à s’entendre pour sortir de la crise ?

C’est un pays dirigé par une mafia politico-financière aux ordres du Hezbollah [mouvement chiite pro-iranien]. Le Liban est devenu une colonie iranienne où les affaires stratégiques (frontières, guerre, paix, contrôle des institutions) sont gérées par le Hezbollah en échange d’un partage des richesses volées. C’est le deal qui a fait que le pays n’a plus de classe politique dirigeante digne de ce nom.

L’impulsion d’octobre 2019 [la « thawra » (révolution), le soulèvement populaire pour réclamer le départ de la classe politique] a été très forte. C’était une flamme patriotique, transnationale et transcommunautaire. Mais, d’une part, le clientélisme confessionnel a servi de rempart et, d’autre part, la répression violente du Hezbollah et d’Amal [autre parti chiite] a brisé cet élan. La classe politique maintient le statu quo car elle ne manque de rien. Et ces dirigeants mafieux savent que s’il y a un Etat de droit au Liban, ils finiront tous en prison ou en exil.

Une réunion comme celle à Paris ce lundi peut-elle aider à trouver une issue à cette crise ?

La priorité est de reconstruire et de redresser les institutions, à commencer par l’élection d’un président de la République, la colonne vertébrale des institutions. A condition qu’il ne soit pas un supplétif du Hezbollah, comme le président sortant [Michel Aoun]. Cette réunion de Paris va pousser les acteurs libanais et régionaux à converger vers l’élection d’un président. Je pense qu’ils vont pousser la candidature du chef de l’armée [le général Joseph Aoun, sans lien de parenté avec Michel Aoun], qui sera accepté par les principaux acteurs, y compris le Hezbollah.

Le Liban doit chercher une « nouvelle formule de gouvernance ». Les instances héritées de l’indépendance de 1943, et retouchées depuis, ont amené le pays en enfer et en ont fait une colonie aux ordres de puissances étrangères successives. En attendant, je crois que le grand malade libanais ne pourra se relever s’il n’est pas confié à une administration internationale qui rétablisse un Etat de droit en bannissant le règne de la milice du Hezbollah. L’affaiblissement actuel de l’Iran peut autoriser cette perspective.

Le pays a été mis en défaut de paiement en mars 2020, mais personne ne veut lui prêter tant qu’il n’y aura pas eu le début d’une réforme. La communauté internationale ne veut plus soutenir des promesses non tenues et donner de l’argent aussitôt happé par les dirigeants du pays.

Propos recueillis par Richard Godin (L'Obs)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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