26/08/2020 Texte

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«Emmanuel Macron au chevet du Liban: un impérieux mandat international». La tribune d’Antoine Basbous

« Il n’y a rien à attendre de cette génération politique au pouvoir, encore moins d’un Hezbollah qui a arraché ses “acquis” par le sang et la terreur et qu’il n’est pas aisé de démanteler »

Le président Macron retournera le 1er septembre au Liban, où le constat qu’il a pu faire lors de son premier voyage est accablant : une génération de dirigeants souvent mafieux et incompétents se relaye au pouvoir et est réfractaire aux réformes ; un système confessionnel dévoyé ; et enfin une milice, créée par décret de l’ayatollah Khomeiny, qui a kidnappé l’Etat, contrôle les rouages du pouvoir ainsi que les frontières et joue le rôle de bras armé de l’Iran dans les conflits régionaux.

Si le moral des Libanais est resté résilient au fil des guerres successives dont leur pays a été le théâtre, ces derniers mois ont fini par en avoir raison. En effet, leur Etat est en faillite, leur épargne s’est évaporée, la pauvreté touche désormais 55 % de la population et le pouvoir refuse d’adopter des réformes en contrepartie de fonds injectés par le Fonds monétaire international (FMI)… La double explosion apocalyptique du 4 août est venue couronner cette cascade de malheurs.

Ce sombre tableau atteste que tous les organes vitaux du Liban sont gravement atteints au point de ne plus savoir comment administrer un traitement. Le patient a besoin d’être placé en « soins intensifs ». Car il n’y a rien à attendre de cette génération politique au pouvoir, encore moins d’un Hezbollah qui a arraché ses « acquis » par le sang et la terreur et qu’il n’est pas aisé de démanteler. Il est, en effet, adossé à une puissance qui met en œuvre un projet messianique et finance sa structure politique et sa branche armée.

« Pour stopper cette descente en enfer, il faudrait adopter une approche audacieuse et non-conventionnelle. Celle-ci consiste à considérer que le patient libanais est hors d’état de se soigner et de se réformer, que son système politique est pervers et que l’armée du Hezbollah ne peut être démantelée dans les circonstances actuelles »

A défaut de l’effondrement du régime iranien qui priverait le Hezbollah de financement ou d’un conflit majeur qui le mettrait hors d’état de nuire — au prix de détruire ce qui reste comme infrastructures au Liban —, la tentation de la facilité serait de traiter avec lui et de reconnaître ses acquis. Cette approche de realpolitik serait le pire service rendu au Liban car elle offrirait une base avancée à l’Iran en Méditerranée, entretiendrait la guerre avec Israël — alors que la plupart des pays arabes pactisent avec l’Etat hébreu —, préfigurerait de nouveaux conflits majeurs et anéantirait le pluralisme libanais.

Comment faire face à un cas aussi désespérant ?

Pour stopper cette descente en enfer, il faudrait adopter une approche audacieuse et non-conventionnelle. Celle-ci consiste à considérer que le patient libanais est hors d’état de se soigner et de se réformer, que son système politique est pervers et que l’armée du Hezbollah ne peut être démantelée dans les circonstances actuelles. Or, le Liban a tout intérêt à retrouver un statut de neutralité garantie par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui devraient prendre en charge la sécurité de ses frontières et le mettre à l’abri des convulsions régionales. Paris devrait œuvrer pour un tel consensus impliquant les cinq membres permanents de sorte à ce qu’aucun acteur ne soit tenté de torpiller l’action commune.

Il s’agit en fait de placer le Liban sous mandat international, de le soustraire aux ingérences régionales qui en ont fait le théâtre privilégié des conflits du Levant depuis Nasser jusqu’à Khamenei, en passant par Arafat et les Assad. La coalition mandataire devrait mettre à profit le temps long pour administrer le Liban, le réformer, reconstituer les infrastructures et accompagner les Libanais dans la recherche d’un nouveau système politique qui privilégie la méritocratie, tout en empêchant qu’une communauté s’empare du pouvoir et soumette les autres à sa dictature, comme cela est courant dans la région. C’est à ce prix que les Libanais renoueront avec l’espoir et retrouveront leur esprit combatif, au seuil du second siècle d’existence de leur pays dans ses frontières actuelles.

« La survie du Liban est conditionnée par le renouement avec sa vocation initiale, consignée dans le “pacte national” de 1943, qui avait adopté un régime démocratique qui ne soit aligné ni sur les Arabes, ni sur les Occidentaux »

Légitimité incontestable. Le retour annoncé d’Emmanuel Macron à Beyrouth cristallise tant d’attentes qu’il sera difficile de les satisfaire, alors que son premier déplacement au lendemain de la double explosion de Beyrouth avait suscité un énorme espoir. Les messages qu’il a délivrés, l’effet d’entraînement que son initiative a provoqué ont accéléré les manifestations de solidarité internationale. La conférence des donateurs qu’il a réunie le 9 août a procuré à la France une légitimité incontestable pour se pencher sur le sauvetage du Liban, où Paris dispose d’un crédit immense. Cet élan français découle d’une amitié solidaire autant que de considérations géopolitiques. La survie du Liban est conditionnée par le renouement avec sa vocation initiale, consignée dans le « pacte national » de 1943, qui avait adopté un régime démocratique qui ne soit aligné ni sur les Arabes, ni sur les Occidentaux. Le rétablissement de cette vocation est une condition sine qua non pour retrouver un destin.

Le président Macron, qui a donné rendez-vous aux dirigeants libanais le 1er septembre pour commémorer le premier centenaire de la proclamation du Grand Liban par le général Gouraud, va pouvoir constater la faillite d’une gouvernance paralysée et l’absence d’avancées malgré la catastrophe du 4 août. Va-t-il alors plaider pour une sortie par le haut qui donnera une chance aux dix-huit communautés du Liban pour cohabiter en harmonie, ou bien privilégier l’option de négocier avec le Hezbollah (et l’Iran) un semblant de stabilité en contrepartie de la reconnaissance des « acquis » du parti de Dieu et de son parrain iranien ? Cette dernière enterrera le pluralisme à vocation démocratique du Liban et sacrifiera l’avenir d’un pays ami.

Antoine Basbous, politologue, directeur de l’Observatoire des pays arabes. (L'Opinion)  



 

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