06/01/2020 Texte

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Antoine Basbous : «Je vois mal comment un clash peut être évité entre Washington et Téhéran»

Le directeur de l'Observatoire des pays arabes estime que la difficulté pour le régime iranien sera de calibrer une riposte leur permettant de sauver la face sans risquer des représailles foudroyantes de Washington. Trump semble avoir renoncé à sa stratégie de retrait à tout prix du Proche-Orient.

Quelle peut être la riposte de l'Iran ?

Téhéran a commencé à mythifier  la figure de Qassem Soleimani afin de ressouder autour de lui une nation qui s'est profondément déchirée cet automne, tout en préparant une riposte qui ne peut pas ne pas avoir lieu, car la crédibilité du régime est en jeu. La difficulté pour lui sera d'effectuer des représailles sans  risquer en retour les foudres américaines sur ses infrastructures militaires, pétrolières ou nucléaires.

Le régime devra donc bien calibrer son action et brouiller les pistes sur sa responsabilité en recourant à des « proxies », des organisations plus ou moins fantoches censées exprimer la « résistance », selon la terminologie officielle, des peuples de la région à l'impérialisme de Washington. Téhéran dispose pour cela d'armes conventionnelles, drones et missiles, ainsi que de réseaux chiites un peu partout où existent des cibles américaines au Proche Orient. Il a déjà  remporté une première manche symbolique à Bagdad , où le Parlement a voté le départ des troupes américaines, en l'absence toutefois des députés sunnites et kurdes.

Les Iraniens ont-ils commis une erreur de calcul en faisant encercler l'ambassade américaine à Bagdad ?

Sans doute. Leur stratégie était de multiplier les provocations pour faire diversion par rapport à la contestation du Hirak chiite en Irak et humilier l'administration Trump afin de l'obliger à desserrer l'étau des sanctions. Vu l'impunité dont ils avaient bénéficié cet été, malgré  l'arraisonnement de tankers dans le détroit d'Ormuz, la destruction d'un drone américain et  un raid sur les installations pétrolières en Arabie saoudite, les dirigeants iraniens ne s'attendaient pas à une riposte aussi importante que  l'élimination du chef des Brigades Al-Qods . Personne n'avait osé leur faire cela jusqu'ici.

Le régime ne dispose pas en outre d'une marge de manoeuvre importante. Il est  confronté à un grand mécontentement social, est désargenté comme l'illustre la baisse des salaires de ses divers miliciens dans l'archipel chiite, et ses lignes de front se sont étirées au gré de ses conquêtes dans le croissant chiite, du Liban au Yémen. Et puisque vous parlez de l'ambassade américaine, les dirigeants iraniens ont reçu un double message de Trump quand il a évoqué ce week-end 52 cibles en Iran. Le chiffre évoque le nombre de diplomates américains retenus en otage à Téhéran de 1979 à 1981, mais fait aussi référence aux bombardiers stratégiques B-52...

N'assiste-t-on pas à un demi-tour complet de l'administration Trump, qui affichait son intention de se retirer complètement du Moyen-Orient ?

En effet, c'est tout le contraire qui est en train de se passer. On peut parler d'un « nouveau Trump », qui ne plaisante plus. Jusqu'ici, il voulait simplement modifier par des sanctions économiques le rapport de force pour obliger Téhéran à renégocier l'accord sur le nucléaire de 2015 (JCPOA). Il court maintenant le risque d'être «fixé » au contraire dans la région par des surenchères militaires.
Je vois mal comment éviter le clash. Sera-t-il total, échappant au contrôle des acteurs, ou bien « contrôlé » et modifiant seulement les rapports de force avant une négociation ? Pour illustrer la gravité de la situation, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a rappelé en conseil des ministres ce week-end que son pays était doté de capacités nucléaires, déclaration officielle sans précédent à ma connaissance.
Il s'agit de dissuader l'Iran, où des dirigeants évoquent des attaques contre Israël, notamment contre Haïfa, coeur de l'industrie chimique du pays. La milice chiite du Hezbollah dispose à 70 km de là de dizaines de milliers de missiles, et vient par ailleurs de faire publier en couverture de son journal une photo rappelant l'attentat qui avait tué 241 Marines à Beyrouth en 1983...

Par Yves Bourdillon (Les Echos)
 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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