19/07/2019 Texte

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Raef Badaoui, la bête noire de Riyad sauvée par Washington

Les États-Unis ont réclamé la libération du blogueur saoudien Raef Badaoui, emprisonné depuis 2012 pour « insulte à l’islam » et condamné à 1 000 coups de fouets. L’homme, connu pour ses idées progressistes, est un fervent défenseur des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

Yeux rieurs, regard franc planté droit dans l’objectif, sa photo a fait le tour du monde. Mais ce n’est pas tant l’image d’un homme heureux, que celle d’un blogueur condamné à 10 ans de prison et 1 000 coups de fouets par le régime saoudien pour «insulte à l’islam» qui a ému la communauté internationale en 2014. C’est aussi l’image qui accompagne celle de son dos strié de sang par les 50 premiers coups de fouets qui lui ont été infligés l’année suivante. Le tollé provoqué fut tel, alors, que Riyad n’a eu d’autre choix que de stopper les séances de flagellation publiques.

Un pis-aller pour l’Arabie saoudite

Toujours retenu dans les geôles saoudiennes, Raef Badaoui est devenu l’emblème de la répression du régime contre les voix qui s’élèveraient contre lui. Mais alors que les multiples appels de sa famille à le libérer sont restés lettre morte, les États-Unis ont tout à coup pris la parole. «En Arabie saoudite, le blogueur Raef Badaoui est toujours en prison sous l’accusation d’avoir critiqué l’islam sur des médias électroniques», a regretté jeudi 18 juillet le vice-président américain Mike Pence, appelant Riyad à le «libérer». S’il est difficile pour l’instant de connaître les conditions dans lesquelles l’homme de 35 ans est détenu, l’appel des États-Unis devrait au moins contraindre Mohamed ben Salman (MBS), le prince héritier, à réviser son jugement. «L’image de l’Arabie saoudite est dégradée aux États-Unis et ailleurs, tandis qu’ils ont besoin du soutien américain dans le Golfe face à l’Iran ou encore au Yémen», analyse Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes. «Les circonstances plaident donc pour que cette réclamation soit entendue.»

La carte du progressisme américain

Côté américain, le choix de soutenir cette figure saoudienne n’est pas anodin. «Raef Badaoui représente un courant minoritaire en Arabie saoudite, mais il nous plaît parce qu’il est moderniste, libéral, futuriste», reprend Antoine Basbous. L’administration Trump est sous le feu des critiques du Congrès américain qui «lui réclame des comptes sur ses relations avec le royaume saoudien», note Annick Cizel, maîtresse de conférences d’histoire et civilisation des États-Unis à l’université Sorbonne Paris 3. La réaction en demi-teinte des États-Unis à l’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi passe mal auprès des Démocrates comme d’une partie des Républicains. La demande de libération de cet opposant saoudien se veut donc une réponse apaisante de la part de Mike Pence.

Un personnage clivant en Arabie saoudite

MBS, lui, n’a pour l’instant pas répondu à l’injonction américaine de libérer Raef Badaoui. Arrivé en 2017 au pouvoir, soit cinq ans après l’arrestation du blogueur, MBS devra tout de même gérer cet héritage comme le sien. « Raef Badaoui avait anticipé la ligne de MBS, réclamant des réformes sociétales qui peinaient à voir le jour », remarque Antoine Basbous. «Mais le fait de réclamer ou de revendiquer quoique ce soit est insupportable pour le régime.»

L’opposant pourrait fragiliser ses positions à l’intérieur même de son pays. «La société saoudienne est fracturée», relève le spécialiste des pays arabes. «Les Wahhabites considèrent Raef Badaoui comme un petit Satan, et les jeunes, modernistes, applaudissent son courage.» 


L’homme a acquis au cours de ses années de détention une véritable aura internationale. Au point que le Parlement européen lui a décerné en 2015 le prestigieux Prix Sakharov, qui distingue les personnalités les plus influentes en matières de droits humains et de liberté d’expression.

Caroline Vinet (La Croix)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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