27/03/2019 Texte

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Algérie: les raisons du divorce entre l’armée et Bouteflika

Le chef d’état-major de l’armée a appelé mardi au départ du président algérien, proposant même d’activer la procédure «d’empêchement» du président.

Déjà mis à mal depuis des semaines par des manifestations d’ampleur, le clan Bouteflika se retrouve de plus en plus isolé. Mardi, le chef d’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, a lâché en rase campagne le président, lui montrant la direction de la sortie. Au pouvoir de choisir la forme qu’elle prendrait : une démission ou l’activation de l’article 102 de la Constitution, qui prévoit « l’empêchement » du chef de l’Etat « pour cause de maladie grave et durable ».

Cette entrée en jeu de l’armée dans la partie se disputant depuis plus de deux mois entre le pouvoir et les manifestants répond à « une double pression », analyse Antoine Basbous, politologue et directeur de l’Observatoire des pays arabes. Celle de la rue, tout d’abord, dont la détermination ne semble pas s’éroder, mais aussi « celle des officiers généraux, qui ne veulent pas mener la répression pour le compte de quelqu’un qui est perdu ».

À la fois pour préserver les fondements du système actuel et la cohésion de l’institution militaire, Ahmed Gaïd Salah préfère donc couper la tête pour mieux sauver le corps. Insuffisant probablement pour répondre aux attentes des manifestants, dont les revendications portent bien au-delà du seul cas Bouteflika.

Gaïd Salah, «caution militaire» de Bouteflika

Le calcul personnel n’est pas étranger non plus à cette intervention. Soutenir plus longtemps le président reviendrait à scier la branche sur laquelle le haut gradé est installé. Sa position actuelle, Salah, 79 ans, la doit en effet à Bouteflika, de trois ans son aîné : c’est le président qui l’a propulsé chef-d’état major de l’armée en 2004. « Il est perçu par les Algériens comme la caution militaire du président Bouteflika », souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève.

S’étiolant au fil des semaines, le lien a fini par se casser entre les Bouteflika et Gaïd Salah, qui n’entretient pas les meilleures relations avec le frère du président, Saïd. Pour Antoine Basbous, le clan Bouteflika n’a sans doute pas été averti de la sortie de Gaïd Salah. « Si ça devait être le cas, pour la même issue sans humiliation, le président aurait pu démissionner et sortir de son propre chef », analyse le politologue.

L’importance que revêt l’irruption des militaires dans la situation actuelle s’explique aussi par des raisons historiques. Parmi elles, la place à part qu’occupe l’armée sur la scène politique depuis l’indépendance, obtenue à l’issue d’un long conflit armé. « Encore aujourd’hui, elle se revendique l’héritière de l’armée de libération nationale et possède cette légitimité révolutionnaire », résume Hasni Abidi.

L’armée, acteur politique de premier plan

Depuis des décennies, l’armée a souvent eu son mot à dire dans les périodes de transition politique. C’était par exemple le cas en 1965, avec le coup d’Etat mené par le colonel Boumédiène, ou en 1992, lorsqu’elle a mis fin au processus électoral et poussé le président Chadli Bendjedid à la démission après la percée du Front islamique du salut au premier tour des législatives.

Ironie de l’histoire, Abdelaziz Bouteflika en personne entendait mettre sous l’éteignoir les « décideurs » de l’armée lorsqu’il a été élu président en 1999. De son côté, Ahmed Gaïd Salah s’est en partie chargé du ménage en éliminant les contre-pouvoirs. Comme le rappelle Hasni Abidi, « c’est lui qui a mis fin aux prérogatives très importantes du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), dirigé par l’inamovible général Mohamed Médiène alias Toufik ». Le DRS a été dissous en 2015.

Pour les alliés de Bouteflika, l’intervention de Gaïd Salah pourrait marquer le top départ d’un mouvement visant à sauver les meubles. Mercredi, Ahmed Ouyahia, ancien Premier ministre et secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND, a à son tour réclamé la démission du président. Pas sûr toutefois que sa voix porte au-delà de sa seule personne. La raison en est donnée par Antoine Basbous et Hasni Abidi, lapidaires : «Ouyahia est peut-être l’homme le plus détesté du pays.»

Vincent Gautier|27 mars 2019, 17h07

Le Parisien

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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