25/09/2004 Texte

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Comment le prochain Président des Etats-Unis pourrait enrayer la crise irakienne ?

Est-il encore possible d'éviter le désastre ?

L'heure de vérité approche à grands pas : à partir du 3 novembre, le futur locataire de la Maison-Blanche ne pourra plus se satisfaire de petits mensonges et de demi-vérités, dictés par les impératifs de la campagne présidentielle. Il devra affronter la réalité en face et assumer ses choix. Or, le bilan de dix-huit mois d'occupation se révèle catastrophique. Où en est l'Amérique de ses buts de guerre ?

Le seul objectif qui a été atteint – et avec efficacité – est l'éviction de Saddam Hussein en trois semaines. Les autres buts de guerre ont tourné au fiasco : l'édification d'un modèle irakien de développement «démocratique» exportable dans les pays de la région ; la mise en valeur des deuxièmes réserves de pétrole pour engager le divorce avec le royaume saoudo-wahhabite dont la doctrine a armé et financé Ben Laden et les kamikazes du 11 septembre. Quant aux armes de destruction massive, les Américains ont été trompés ou manipulés ? – à l'instar de plusieurs autres puissances qui furent hostiles à la guerre et qui croyaient à l'existence de ces armes.

Aujourd'hui, le constat est sans appel : les Américains ont abouti à l'inverse de ce qu'ils voulaient : au lieu de faire avancer la cause d'un Etat «prédémocratique» et moderne, nous assistons à l'émergence et à l'extension de «l'émirat islamique» de Falloujah, instauré par Zarqaoui et les wahhabites. Comme Ben Laden, cet homme court toujours. Il garde l'initiative, embrigade les kamikazes qui affluent à travers les frontières et transforme l'Irak en terre de djihad, à l'instar de l'Afghanistan occupé par l'URSS, dans les années 80.

Non seulement les soldats américains ne peuvent accéder à la ville, mais aussi cette première résurrection du modèle taliban en Irak promet de s'étendre à d'autres villes du triangle sunnite. Le succès de cette mouvance va l'entraîner à croiser le fer avec les chiites qualifiés de «mécréants» et avec les Kurdes décrits comme «alliés des impies». Zarqaoui a revendiqué les attentats majeurs contre les dirigeants et la population chiites et leur a promis un châtiment exemplaire jusqu'à ce qu'ils se convertissent.

La dynamique vertueuse qui s'est instaurée au lendemain de la chute de Saddam s'est transformée en dynamique désastreuse pour les Irakiens et pour la coalition menée par Washington. Que sont devenues les promesses de reconstruction, la fourniture de l'eau, de l'électricité et la garantie de la sécurité dans un Etat de droit ? A Falloujah, ce sont les châtiments islamiques qui ont cour : flagellations publiques, collecte de la zaqat par les muftis wahhabites réunis en assemblée des oulémas, l'assassinat de chiites et de Kurdes irakiens, de travailleurs étrangers qui participent à la reconstruction de l'Irak, fussent-ils musulmans. Une alliance entre les mafias et l'idéologie wahhabite a créé une industrie de la prise d'otages de plus en plus prospère. Cette pratique a fait plier plusieurs Etats et pèse sur d'autres.

Un autre but de guerre a également abouti à l'opposé de l'objectif recherché. Il s'agissait de substituer, avec le temps, le pétrole irakien à l'or noir saoudien pour pouvoir se libérer de la contrainte énergétique saoudienne. Or, il ne se passe pas un jour sans que les infrastructures irakiennes d'hydrocarbures ne connaissent des sabotages. La mise en valeur du potentiel irakien et la relève de l'Arabie sur le marché pétrolier ne sont pas pour demain. C'est ce qui explique la précipitation de l'ouverture du domaine pétrolier libyen en vue de compenser l'indisponibilité des réserves irakiennes. Nous assistons aussi à la consolidation de l'alliance entre Washington et Riyad, lequel s'est engagé dans la lutte contre la mouvance de Ben Laden dès les attentats majeurs du 12 mai 2003, à Riyad. Face à ce terrible constat, quelles sont les options qui se présentent au futur président des Etats-Unis ?

1. Le retrait maquillé en redéploiement par des formules diplomatiques pour sauver la face de Washington. Il serait justifié par les difficultés de l'après-guerre, les coûts humains (près de 1 050 morts parmi les soldats américains) et économique (près de 200 milliards de dollars). Problème : ce serait un aveu d'échec qui ne tromperait personne et qui renverrait aux précédents du Vietnam, du Liban et de la Somalie. Ces deux derniers épisodes avaient motivé les attaques de Ben Laden qui considère que les Américains sont incapables d'assumer de lourdes pertes et préfèrent s'enfuir. Or, le 11 septembre est passé par là, et l'invasion de l'Irak a été présentée comme une réplique à cette attaque.

Aussi, le retrait ouvrira la voie à la guerre civile, à l'éclatement de l'Irak, aux ingérences étrangères et à l'exportation du modèle d'une République talibanne dans les Etats voisins, comme le promet Zarqaoui. Un chaos irakien remettrait en cause l'ordre actuel et menacerait les exportations pétrolières d'une région qui regorge des deux tiers des réserves mondiales. Si l'on se plaint d'un baril qui frôle les 50 dollars, que dire alors le jour où son prix avoisinerait le seuil des 100 dollars en raison des bouleversements géopolitiques et sécuritaires induits par un éventuel chaos ?

2. Laisser à l'ONU le soin de faire les concessions nécessaires. Or, après la pulvérisation du siège de l'ONU puis celui du CICR à Bagdad, les pays candidats pour relever la coalition ne sont pas légions. Toutes les chancelleries ont compris que les kamikazes sont nombreux et qu'elles n'ont aucun intérêt à relever les Etats-Unis.

3. Faire appel aux pays de l'Otan pour élargir la coalition actuelle. Mais la résistance de la France, de l'Allemagne et de la Turquie – dont l'intervention est par ailleurs rejetée par les Irakiens – réduit le champ de l'intervention de l'Otan au seul entraînement des forces irakiennes qui se fait avec beaucoup de réserves. Il y va de même de l'extension de la coalition à des pays islamiques, conformément à une suggestion de l'Arabie formulée en juillet 2004 et qui a été abandonnée par la Ligue des Etats arabes en septembre, faute de candidats.

4. Il reste une option : que les Etats-Unis assument jusqu'au bout leur initiative et tiennent leurs engagements. Au préalable, ils doivent faire leur autocritique et corriger leurs erreurs d'analyse de la société irakienne. Car ils ont réussi un tour de force : celui de faire oublier en peu de temps le régime honni de Saddam et de cristalliser sur leur mission la haine de beaucoup d'Irakiens. Le nouveau départ nécessite d'autres sacrifices, des renforts substantiels, un souffle qui s'inscrit sur le long terme et le devoir de convaincre les voisins de l'Irak que l'engagement américain est irréversible et que toute tentative de saper ses efforts serait vaine et constituerait une déclaration de guerre aux Etats-Unis.

Le succès de cette dernière option passe aussi par une autre politique à l'égard des Palestiniens qui désamorce, par des faits tangibles, l'idée selon laquelle Washington est l'ennemi d'Allah, des Arabes et des musulmans que les régimes de la région n'ont cessé de marteler pour faire oublier leur propre collusion avec Washington et surmonter leur impuissance et leurs défaillances. Cependant, le soutien systématique apporté à Israël n'est pas propice à démentir cette image en dépit de la précieuse aide apportée par les Américains à des causes islamiques, comme en Bosnie. En réalité, les Etats-Unis sont en mesure de garantir à la fois la sécurité d'Israël et l'établissement d'un Etat palestinien viable. Ces deux revendications légitimes ne sont pas contradictoires.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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