08/04/2004 Texte

pays

<< RETOUR

Abdelaziz Bouteflika en quête d'un nouveau mandat

L'armée et l'échéance présidentielle

Alors que les élections présidentielles ont lieu aujourd'hui, une forte suspicion de fraude plane sur Alger. Et ce, malgré la disposition du président Abdelaziz Bouteflika à appeler des observateurs internationaux pour vérifier le bon déroulement du scrutin. Ses adversaires, réunis pour l'occasion dans un front «antifraude», l'accusent d'avoir «instrumentalisé» la justice et l'administration et invitent l'armée à «garantir la sincérité du scrutin» ! Pourtant, une bonne moitié d'entre eux accusait encore récemment l'armée d'être responsable de tous les maux de l'Algérie. Faisant fi de leurs divergences passées, ces opposants, venus de tous bords, disent qu'ils sont décidés «à s'unir afin d'empêcher un passage en force du président en exercice».

Depuis l'abandon du régime du parti unique au profit du multipartisme, il y a quinze ans, le pays a systématiquement connu des fraudes électorales. Ce qui a discrédité les consultations, ainsi que la classe politique. Et quand bien même les électeurs avaient voté contrairement aux intérêts du régime, les résultats des élections étaient annulés, comme lors de la victoire du FIS au premier tour de l'élection législative de 1991. L'opinion publique n'accorde plus sa confiance aux processus électoraux. Lors de l'élection présidentielle de 1999, seuls 23% de la population s'était déplacée.

Il serait fort regrettable que la pratique de la fraude se perpétue comme semble le redouter le président de la Ligue algérienne des droits de l'homme, maître Ali Yahyia Abdelnour. Ce dernier reste convaincu que la prise du pouvoir en Algérie emprunte la voie d'un «coup d'Etat qui s'exerce par les armes ou par les urnes». Il serait fort dommage que le régime algérien accrédite une fois de plus les prédictions de cet avocat, fin connaisseur des arcanes du pouvoir et défenseur de ceux qui, pour des raisons politiques, ont été inquiétés par la justice.

Il serait temps que l'armée prenne ses distances par rapport à la gestion quotidienne du politique. En effet, les attentats du 11 septembre 2001 ont permis à l'armée de moins redouter les accusations portées contre elle, et les interrogations à propos du «Qui tue qui ?» en Algérie. Depuis les attaques de New York et de Washington, l'armée apparaît comme une organisation fréquentable et pionnière dans la lutte antiterroriste. Son combat, qui a été sans doute entaché d'opérations inavouables et inavouées contre les islamistes et des civils, a été presque avalisé, a posteriori. Aujourd'hui, une quinzaine de généraux – âgés de 60 à 75 ans – au sein de la haute hiérarchie militaire, et qui ont largement influencé le destin de l'Algérie, sont prêts à prendre leur retraite. Néanmoins, ils veulent s'assurer qu'ils ne seront pas inquiétés par la suite.

Régulièrement, l'armée exprime le désir se retirer de l'arène politique pour jouir d'un statut comparable à celui de l'armée turque qui s'est constituée en gardienne de la constitution et en garante des intérêts supérieurs de la nation. Pour l'y aider, il faut que la classe politique algérienne parvienne à s'émanciper, que des partis politiques puissent exister hors tutelle et que la société civile prenne son envol, afin que le désengagement de l'armée ne laisse pas un vide dans le pays. Il faut également que les militaires algériens commencent à se désintéresser du secteur économique en laissant agir les forces du marché.

Le président Bouteflika mène sa campagne depuis des mois, monopolise les médias officiels et se montre très généreux des deniers publics distribués au cours de ses déplacements. Il sollicite les fonctionnaires pour relayer son message. Le chef d'état-major de l'armée, le général Lamari, est alors intervenu pour assurer que la neutralité de l'armée ne signifiait pas pour autant qu'elle laisserait la voie ouverte à une quelconque fraude ! En veillant à la loyauté et à la sincérité des élections, Lamari voudrait en être aujourd'hui le garant. Deux hypothèses s'imposent. La première : Lamari engage par sa promesse toute l'armée derrière lui et non la seule armée de terre. La deuxième : il s'agit simplement d'une propagande, destinée à améliorer l'image de son institution. Toutefois, l'élimination de la candidature du docteur Ahmed Taleb Librahimi par le Conseil constitutionnel, sans motifs valables, rappelle le comportement du régime iranien qui a d'emblée écarté la candidature des réformateurs parce qu'ils étaient susceptibles de remporter le scrutin.

L'éventuel retrait de l'armée de la vie politique lui vaudra la reconnaissance des Algériens et l'appui de la communauté internationale et permettra au pays de franchir un pas dans la voie démocratique. L'armée qui a l'ambition de se moderniser, de constituer des unités professionnelles et de se doter de nouvelles armes, cherche également à communiquer. Bientôt, elle inaugurera son propre site Internet. Quoi qu'en disent les officiels, l'armée a eu de difficiles relations avec le président qu'elle s'était offert, en 1999. Elle a bloqué d'abord la formation de son premier gouvernement pendant huit mois, puis ses principales réformes pendant cinq ans. C'est que l'institution militaire a vite perdu confiance dans le président. Confiance brisée lorsque ce dernier ambitionnait de devenir, à l'instar du feu président Boumediene, le maître absolu du pays et signifiait à l'armée qu'il n'était plus son « protégé » mais désormais son « protecteur ».

Toutefois, les vrais enjeux dépassent de loin l'identité du futur locataire du palais d'al-Mouradiya. Le pays connaît un profond traumatisme auquel la sortie progressive de la guerre n'a pas remédié. Comment faire pour redonner, à toute une génération, confiance dans l'avenir de son pays et des emplois pour la dissuader d'émigrer à tout prix. Comment faire pour créer des emplois, pour remédier aux pénuries de tous genres, pour empêcher la réapparition d'épidémies éradiquées, pour éviter les jacqueries qui éclatent, sans prévenir, dans les quatre coins du pays : celles de l'eau qui manque, des infrastructures défaillantes, des logements sociaux distribués aux puissants, des injustices de tout genre ?

La décennie noire qui vient de s'écouler avait imposé aux Algériens une priorité : survivre à la guerre. Maintenant qu'on leur annonce que la page de la guerre est tournée et que les caisses de l'Etat n'ont jamais été aussi bien pourvues – alors qu'ils ne voient pas la couleur de cette manne – ils sont profondément déçus. L'Algérie a pris d'énormes retards dans ses réformes vitales : banque (un chèque est normalement encaissé au bout d'un à quatre mois), école, hôpital, services publics... Les chantiers systématiquement repoussés sont gigantesques. Espérons que le prochain quinquennat ne sera pas synonyme – à l'instar de celui qui s'achève – de paralysie et de tiraillements en coulisses.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |