16/12/2003 Texte

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« La guerre n'est pas finie »

« Sud Ouest ».Les réactions dans les pays musulmans à l'arrestation de Saddam Hussein sont très contrastées...

Antoine Basbous (1). Le monde arabe n'est pas monolithique. Les réactions dépendent du camp dans lequel chacun se situe. Pour les nationalistes arabes, qui s'accommodent très bien des régimes dictatoriaux et qui rejettent tout ce qui vient des Etats-Unis, la chute du tyran entre les mains des Américains est évidemment inadmissible. En revanche, les libéraux, vivant dans l'espoir d'un changement, se réjouissent de la chute du dictateur. Ils ne veulent pas rester à l'écart de l'évolution qu'a connue la planète dans la seconde partie du XXe siècle, surtout après la chute du mur de Berlin. Le monde arabe est resté jusqu'à présent réfractaire à ces bouleversements.

Quelles leçons en tirer ?

Les nationalistes arabes ne veulent pas avouer que leur nationalisme a conduit à l'échec à l'intérieur et à l'extérieur. Ils sont tristes d'avoir perdu, et de quelle façon ! Saddam n'a pas résisté. Il ne s'est pas battu. Il ne s'est pas suicidé. Pour eux, c'est un gros choc. Ceux qui se réjouissent, ce sont les victimes du régime, les pays voisins et tous ceux qui aspirent à une société arabe différente. Cela finit par faire beaucoup de monde. Mais les sentiments peuvent être plus ambigus. C'est le cas, je pense, pour les Iraniens. Ils voient dans Saddam l'homme qui leur a fait mordre la poussière et qui a mené une guerre de huit années qui leur a coûté cher. Comme ils étaient eux-mêmes incapables de l'abattre, ils sont naturellement satisfaits de voir qu'il a enfin été capturé. En revanche, quand ils regardent l'avenir, ils se disent que cela risque d'accélérer le succès américain en Irak et qu'ils pourraient bien être les prochaines cibles.

Les Palestiniens ont accusé Saddam Hussein de lâcheté. Son arrestation peut-elle avoir des conséquences sur le conflit avec Israël ?

Non. Le conflit israélo-palestinien a ses propres ressorts, et les Palestiniens ne reculent pas devant les opérations kamikazes. Saddam avait toujours dit que son pistolet était son plus fidèle allié et que la dernière balle serait pour lui. Aujourd'hui, quand on le voit se rendre sans dignité, résigné à laisser un caporal américain l'ausculter, c'est le manque de courage et la lâcheté qui caractérisent son comportement. Je pense que cela devrait lui faire perdre ses derniers partisans.

Les autres dictateurs de la région peuvent-ils se sentir menacés, et la chute de Saddam peut-elle laisser espérer une évolution vers plus de démocratie ?

Je ne le pense pas. La chute de Saddam doit faire peur aux tyrans, mais, en même temps, elle va les inciter à réagir pour ne pas être les prochains sur la liste. Il y a encore beaucoup de pain sur la planche. Saddam tombé, la guerre se poursuit. Maintenant, avec la composante islamiste qui est la plus radicale, Ben Laden va prendre le relais et essayer de fédérer toutes les oppositions armées. Il a l'ambition de faire de l'Irak l'Afghanistan des Américains ou un nouveau Vietnam, et pense qu'il peut y arriver avec ses kamikazes.

(1) Directeur de l'Observatoire des pays arabes. Dernier ouvrage publié : « L'Arabie saoudite en question » (Perrin).

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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