29/10/2003 Texte

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“Irak: La nouvelle terre du djihad”

Antoine Basbous, spécialiste du Monde arabe, à Liberté

Liberté : Après les attentats meurtriers de dimanche et lundi derniers, peut-on parler d’un enlisement américain en Irak ?

Antoine Basbous : Oui, on peut dire que les Américains sont en train de s’enliser en Irak. Visiblement, ils ne s’attendaient pas à être accueillis de cette façon. Mais, ce qui se passe aujourd’hui résulte, en grande partie, des nombreuses erreurs commises par les Américains après la chute de Saddam, comme par exemple la dissolution de l’armée irakienne. Ils auraient pu garder les éléments qui n’avaient pas de sang sur les mains et ne faisaient pas partie du commandement. Au lieu de cela, ils ont jeté dans la rue quelque six cent mille familles qui se sont retrouvées sans ressources. Ce sont autant de personnes que les Américains ont mises dans le camp adverse.

Comment peut-on expliquer cet “amateurisme” dont a fait preuve l’administration américaine dans la gestion de l’après-guerre en Irak ?

Il ne faut pas oublier une chose : ceux qui ont décidé cette guerre à Washington sont des idéologues. Et c’est leur “idéologisme” qui les empêche de voir la réalité. Ils veulent voir le monde tel qu’ils se l’imaginent et non pas tel qu’il est. Pourtant, il y avait dans l’administration américaine des personnes qui mettaient en garde contre les lendemains d’une intervention en Irak. Mais, elles n’ont jamais été écoutées. Mais, pour être honnête, les Américains ont, dans un premier temps, été accueillis en libérateurs : il n’y avait aucune résistance ni de la part de l’armée ni de celle de la population. Ce qui a précipité la chute du régime. En revanche, ils ont très mal géré l’après-guerre. Ils ont laissé une dynamique négative prendre le relais de la dynamique vertueuse qui s’était enclenchée le 9 avril avec la chute de Saddam.

Quand on voit la gestion de l’après-guerre, notamment avec les scandales apparus sur l’attribution des contrats de reconstruction, il y a des raisons de douter des réelles motivations qui ont poussé l’Amérique à attaquer l’Irak…

Personnellement, je n’ai jamais été dupe de l’attachement américain à la liberté des peuples. Avant le 11 septembre 2001, ils avaient comme premier allié dans la région la monarchie saoudo-wahhabite qui ne respecte ni les droits de l’Homme, ni ceux des femmes, ni les libertés. Cela ne les a pas empêchés de la protéger. Les Américains sont partis en Irak en raison des attentats du 11 septembre. Après les attaques du World Trade Center, ils ont jeté un regard différent sur cette région du monde qu’est le Moyen-Orient, d’où est issue une grande partie des kamikazes et où se trouvent l’idéologie et les financements qui ont conduit ces personnes à les attaquer. La première cible a été l’Afghanistan des talibans où ils ont défait les structures de Ben Laden. Ensuite, il fallait divorcer d’avec l’Arabie Saoudite. Mais comme il n’est pas aisé de divorcer d’avec le premier producteur de pétrole dans le monde, il a fallu s’attaquer aux deuxièmes réserves (du monde), surtout que les prétextes pour attaquer Saddam ne manquaient pas. Ce tyran avait violé pas moins de 16 résolutions du Conseil de sécurité et avait représenté, à maintes reprises, une menace pour ses voisins. Pour les Américains, cette guerre allait leur permettre de changer le monde à partir de l’Irak. Mais les choses tournent mal.

À qui faut-il attribuer les attaques actuelles contre les troupes américaines ?

À l’heure actuelle, deux composantes majeures forment l’opposition armée en Irak. Il y a, d’une part, les barons déchus du baâsisme qui n’ont plus rien à perdre et, d’autre part, tous les combattants attirés par “l’Irak terre de djihad”. Pour ces derniers, l’Irak est destinée à devenir pour les Américains ce qu’était l’Afghanistan pour les Soviétiques dans les années 1980. Ils veulent rééditer l’exploit afghan en remportant la victoire contre l’armée américaine à Bagdad. Et le théâtre des opérations en Irak est beaucoup mieux préparé pour combattre l’armée américaine que ne l’était l’Afghanistan après l’invasion soviétique. Car l’Irak se trouve au cœur d’une zone très peuplée, pleine de richesses et les combattants armés n’ont pas à franchir des milliers de kilomètres pour venir combattre l’ennemi américain. Un scénario catastrophique pour les régimes arabes : les combattants issus de leur pays peuvent, une fois les Américains vaincus, se retourner contre eux et tenter de les renverser pour appliquer la charia.

Que peuvent faire les Américains, aujourd’hui, pour sortir de ce piège irakien ?

Ils n’ont qu’une seule issue : avoir du souffle et assumer, surtout qu’ils ne peuvent pas compter sur une aide internationale. Ils doivent donc patienter et transférer progressivement le pouvoir aux Irakiens. Il ne faut pas oublier une chose : à Bagdad, les Américains ont certes la puissance de feu, mais ils sont “aveugles”. Ils n’arrivent pas à repérer et à identifier l’ennemi. Et ce travail, seuls des policiers ou des militaires irakiens peuvent le faire. Donc, il faut laisser les Irakiens gérer leurs affaires. Mais surtout, ne pas quitter l’Irak avant de le stabiliser et de le remettre à un gouvernement représentatif. Un départ précipité serait criminel et injuste à l’égard des Irakiens et des pays de la région qui verseraient dans le chaos !

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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