«Ben Laden cherche à déstabiliser»

Crise Irakienne -- Selon Antoine Basbous, Directeur de l'Observatoire des Pays Arabes, l'authenticité du message de Ben Laden ne fait aucun doute

« Sud-Ouest ». Ce nouveau message peut-il être attribué à Ben Laden ?

Antoine Basbous. Sans aucun doute. Le souffle et le timbre de la voix en attestent. La rhétorique aussi. Nous sommes face à la même lecture du Coran, à la citation des mêmes versets, au même discours. Il n'y a pas de doute sur l'authenticité de ce message.

Devant l'empressement avec lequel les Américains l'ont authentifié, une certaine suspicion s'est pourtant manifestée en France...

Les Américains avaient mis plusieurs jours pour authentifier le précédent message. Cette fois-ci, ils l'ont certifié avant tout le monde parce qu'il apporte de l'eau à leur moulin et correspond à leur agenda. Comme à l'habitude, le doute est utilisé en fonction des intérêts du moment et de chacun. Pour ma part, Ben Laden est aussi immédiatement reconnaissable dans ce nouveau message qu'il l'était dans le précédent. Ce document a probablement été enregistré dans les montagnes afghanes puis acheminé dans une ville pakistanaise d'où il aura été adressé par téléphone, par Internet ou par tout autre moyen. C'est lors de cette transmission que les Américains l'auraient intercepté.

Ce message apporte-t-il des éléments nouveaux ?

Pas vraiment. L'obsession du choc des civilisations revient une nouvelle fois en boucle. Il est à noter néanmoins que Ben Laden ne fait aucun cas du conflit qui oppose les Américains à leurs alliés au sein de l'OTAN, ni des divergences de vues à l'intérieur de l'Union européenne. Il se pose également comme le seul commandeur des croyants digne de l'être et qualifie de renégats les chefs d'Etats arabes ou islamiques qui prêtent main forte aux Américains. Il appelle à les renverser au profit de régimes appliquant la charia, allant jusqu'à désigner les plus faciles à déstabiliser, au premier rang desquels il place la Jordanie et le Maroc. Son ambition est d'entraîner l'Amérique dans une guerre d'usure qui la perdra. Sa conviction est qu'au-delà de leur supériorité technologique et aérienne, les soldats américains sont des lâches. Dans la perspective de ces combats, il appelle une nouvelle fois au djihad.

Ce message révèle-t-il une présence de son organisation sur le territoire irakien ?

Il n'indique aucune implication de Ben Laden en Irak dans le passé. Mais il engage les moudjahidine à combattre les Américains aux côtés de l'apostat Saddam, sur la base d'une alliance conjoncturelle objective destinée à chasser l'ennemi hors de la terre d'Islam.

Ce message peut-il avoir un impact sur les populations irakiennes ?

A l'exception de ceux qui constituent la colonne vertébrale du régime, les Irakiens sont selon moi saturés de tous les discours guerriers. Et attendent aujourd'hui qu'on les délivre de Saddam.

Ils accueilleraient donc les Américains comme des libérateurs...

Oui, au moins dans un premier temps. Tout dépendra de la rapidité de l'issue des combats et de la façon dont ils seront menés. Si Saddam tombe vite, ce sera le soulagement régional. En revanche, si les Américains le ratent comme ils ont raté Ben Laden, s'il y a guerre d'usure avec de nombreuses pertes, l'enlisement pourrait produire une mobilisation des opinions arabes contre leurs dirigeants. Et aboutir au chaos dans la région.

Que pensez-vous de l'attitude franco-allemande ?

Je n'ai pas envie de rentrer dans ce débat. Chacun voit midi à sa porte. La résolution 1441 restera comme une hypocrisie façonnée par les diplomates pour que chacun puisse l'interpréter à sa guise et de manière contradictoire. Dès lors, il n'y a plus de place pour le débat. Chacun suit sa logique, que je n'ai pas envie de commenter pour l'heure.

Une chose est sûre, Ben Laden comme les Américains ont le même désir d'en découdre...

Ca, c'est sûr. Mais la déclaration de guerre de Ben Laden aux Américains ne date pas de ce dernier message. Elle remonte à sa fatwa de février 1998.