12/06/2002 Texte

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Menaces de Bin Laden: « Il veut attaquer là où on ne l'attend pas »

Entretien avec Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des Pays Arabes

Le Matin : Une succession de faits laisse supposer qu'il y a aujourd'hui une tentative d'implantation d'Al Qaïda au Maghreb. Quel est votre avis sur le sujet ?

Antoine Basbous : On observe des faits. Chronologiquement, il y a eu l'attentat de Djerba revendiqué par Qaïdat El Djihad, une filiale de Ben Laden donc. Par la suite, on a vu un haut responsable algérien alerter sur le déploiement d'une activité terroriste aux frontières sud du pays, et puis il y a eu hier cette information relative à l'arrestation de Saoudiens qui seraient liés à Al Qaïda au Maroc. On peut tout de suite en conclure qu'il y a un plan de Oussama Ben Laden en direction de ces pays.

Dans quel objectif ?

L'Occident devient de plus en plus fermé, de plus en plus inaccessible pour Al Qaïda. Dans l'immédiat, il serait plus facile, pour l'organisation, de frapper au Pakistan par exemple comme elle l'a fait il y a un mois, comme elle l'a fait à Karachi, Djerba ou comme elle comptait le faire à Gibraltar. Al Qaïda doit penser qu'il est plus facile d'attaquer là où on ne l'attend pas.

Des actions facilitées par le fait même de l'existence de groupes islamistes armés au Maghreb entendez-vous ?

A mon avis, il s'agit toujours des filières qui ont fait la guerre d'Afghanistan, qui sont passées par les camps d'entraînement dans ce pays et au Pakistan, et c'est une filiation qui est, d'une part, wahhabite djihadiste et, d'autre part, liée aux réseaux de Ben Laden. Cette mouvance a une implantation prouvée en Algérie. On vient de découvrir qu'il y a des éléments, peut-être pas structurés, mais qui existent tout de même en Tunisie et au Maroc, encore une fois même s'ils ne sont pas toujours autochtones. Nous ne savons pas en effet où vivaient auparavant les Tunisiens en question, et au Maroc ce sont des Saoudiens apparemment qui ont pratiqué la dissimulation sans dévoiler leurs projets jusqu'au jour où ils ont été confondus.

Pourquoi dites-vous qu'il y a une implantation prouvée en Algérie ?

Je pense qu'il y a des relations claires entre le GSPC, par exemple, et certains groupes islamistes saoudiens et le wahhabisme saoudien. J'ai le souvenir d'avoir vu à la télévision l'été 1999 des gens qui descendaient des maquis et qui disaient : « Nous avions reçu des instructions de Ben Oussaïmine, numéro deux des oulémas saoudiens de l'époque, pour entrer en djihad, et à présent nous remettons nos armes sur son instruction également. » Il avait lancé une fatwa à l'époque. Donc la filiation entre le wahhabisme djihadiste et une partie des islamistes algériens est prouvée. Mais pas tous, une partie seulement.

Pouvons-nous parler d'une réelle menace au Maghreb ?

Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des éléments ayant fait l'Afghanistan et appartenant à cette mouvance, cette idéologie issue du wahhabisme djihadiste, qui existent bel et bien.

Peut-on considérer que l'Algérie est des plus propices à cette implantation ?

La guerre qui a sévi et qui sévit encore en Algérie depuis dix ans maintenant apporte la preuve de leur existence. Par les fatwas que l'on connaît, par les massacres, la guerre Le fait de décréter que toute une société est kafira (impie), c'est la preuve de l'idéologie dont on parle.

On observe actuellement en Algérie une recrudescence du terrorisme et une réorganisation des groupes armés qui replongent le pays dans l'atmosphère qui régnait au début de l'apparition du phénomène. Se peut-il qu'il y ait un lien entre Al Qaïda et cette situation ?

Je n'ai pas d'information en ma possession, mais j'observe que dans tout pays où il y a de l'islamisme qui recourt au terrorisme, il y a deux facteurs : idéologique et conjoncturel. Apparemment, on avait annoncé à plusieurs reprises la fin imminente du terrorisme puis on passait à autre chose, mais on découvre dix ans après que les terroristes sont toujours là aussi nombreux, sinon plus nombreux qu'auparavant. Donc, il y a un facteur politique et socioéconomique qui ne correspond pas aux attentes de la jeunesse. Il ne faut pas tout mettre sur le compte du terrorisme idéologique, parce que cette idéologie se nourrit aussi d'un certain désespoir.

Oussama Ben Laden considère-t-il le Maghreb comme un terrain de prédilection ?

Ce qu'on observe depuis ces derniers temps, c'est qu'il a pris le Maghreb comme une région d'action parce qu'il est aux portes d'une Europe assez verrouillée avec les Etats-Unis, et que, pense-t-il, dans ces pays du Maghreb la vigilance n'est pas aussi éveillée qu'elle l'était ailleurs. Ce sont donc des cibles plus faciles. Rappelez-vous les attentats précédents - Riyad, Dar es-Salam, Aden ce sont des cibles qui sont toujours américaines mais situées hors des Etats-Unis. Ils ne peuvent pas réussir tous les jours un 11 septembre au cœur de l'Amérique, donc ils contournent cette difficulté en s'attaquant à des intérêts américains ou même occidentaux là où c'est plus accessible, là où c'est plus facile. Je crains qu'Al Qaïda ne planifie une stratégie à la dimension de l'Afrique du Nord, c'est un peu la réplique au plan de l'intégration économique proposé par les Américains aux pays de l'Afrique du Nord. Il y a une visée économique pour les Américains, terroriste pour Al Qaïda.

Sur un plan plus large, où en est l'enquête sur Al Qaïda ?

Il y a quand même quelques résultats apparemment puisqu'il n'y a pas eu de sérieux attentats sur les cibles privilégiées de Ben Laden. Quelques tentatives ont échoué, peut-être y en avait-il d'autres en préparation, mais là, pour l'instant, les opérations se concentrent en dehors du territoire en question.

Qu'en est-il de Oussama Ben Laden ?

Jusqu'à preuve du contraire, il est vivant. Les Américains qui ont voulu épargner la vie de leurs soldats à Tora Bora ont confié la mission de le combattre aux Afghans et là ils ont raté l'occasion de le capturer ou de l'éliminer parce que, apparemment, il y était pendant les premiers jours de la guerre.

Propos recueillis par Abla Chérif

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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